"La piel que habito" de Pedro Almodovar marque un véritable tournant dans la carrière du réalisateur. Mais ce tournant n'est pas tellement surprenant, ni inattendu. Il est simplement radical.
Le réalisateur espagnol réalise un film de genre, ce vers quoi il se dirigeait doucement depuis "La mala educacion". Les références à Hitchcock ont toujours été présentes chez Almodovar, mais désormais, ceux-ci sont complètement assumés (s'y ajoutent des références à Franju ou à Lynch) et permettent au final de construire un univers totalement personnel et nouveau, et surtout, de faire un film abouti et totalement réussi sur le thème du "savant fou". Ce dernier thème a été beaucoup utilisé dans la littérature et souvent mal exploité au cinéma. Almodovar réussit donc un véritable coup de maître en transcendant ce genre, tout en jouant avec les codes de film noir et en posant des questions essentielles concernant la bioéthique, le pouvoir et le deuil.
Le scénario, absolument déroutant, manipule totalement le spectateur durant presque une heure pour ensuite l'approcher vers une vérité à laquelle nous n'avons pas envie de croire. La mise en scène est précise, intelligente; l'image, splendide; le montage, divinement surprenant; et la composition musicale d'Alberto Iglesias doit être grandement saluée.
Beaucoup ont dit que le film est trop froid, trop pessimiste, qu'on ne retrouve pas Almodovar, son humanisme, que A. Banderas est figé ou que le scénario est trop alambiqué. Je tiens à dire une chose, "La piel que habito" a une esthétique volontairement glaciale, qui sert merveilleusement l'idée du film. Et si certains critiquent cela, c'est parce que c'est Almodovar qui l'a fait. Ces derniers aiment coller des étiquettes et pouvoir dire "Ah, c'est un film d'Almodovar": oui, ce film change beaucoup, c'est très nouveau et c'est très bien. De plus, si le film semble froid, il n'est pas pour autant pessimiste, il est au contraire extrêmement optimiste sur la nature humaine confrontée à sa société, le final le montre assez bien.
Il n'y a rien de plus beau que d'assister à un telle évolution dans le milieu de l'art. Les grands cinéastes se renouvellent, et peu l'ont fait avec autant de puissance et d'énergie qu'Almodovar.
"La piel que habito" est un chef d'oeuvre.