Dans cette version de Don Giovanni, Losey ne fait pas qu'adapter Mozart au cinéma, mais il parvient à faire se côtoyer deux genres totalement différents avec virtuosité et équilibre. Le cinéma élargie les possibles en matière d'interprétation, tout en laissant à l'opéra sa dimension théâtrale propre. On assiste à un opéra grandeur nature, sur une scène vivante où l'illusion dramatique est aussi bien portée par la musique que par le décor. La Villa Rotonda, désignée comme le palais de Don Giovanni, est un choix particulièrement intéressant puisqu'elle offre un lieu à quatre façades identiques, soit quatre scènes ouvertes sur des cadres naturels différents. Ainsi la multitude des scènes semble converger vers un point central, la salle à la coupole de la Rotonda. Quant aux acteurs, on aurait du mal à imaginer meilleure distribution. Losey a su de cette manière garder cette tresse entre le comique et le tragique, le léger et le sérieux, le grotesque et le sublime qui est le nerf même de "Don Giovanni". Donna Elvira a beau se lamenter, elle est souvent le contre-point burlesque de Donna Anna, peut-être le seul véritable personnage pathétique de la pièce. Le couple Leporello Don Giovanni est servi à merveille, mélange de défiance et de complicité. Ruggero Raimondi est tout à fait magistral dans son rôle de Don Juan, à qui il a su donner tout le mépris naturel, la prestance, le cynisme, l'élégance et l'esprit redoutable d'un parfait libertin. N'oublions pas le jeune et mystérieux valet en noir... Est-ce le mignon de Don Giovanni, son entremetteur, son fils spirituel? Il restera en tout cas des scènes inoubliables de ce Don Giovanni, telles que le "Madamina"(où les catalogues deviennent des traînes de mariée pour Donna Elvire) ou encore le Finale, qui condense tous les registres de l'oeuvre, la comédie("Gia la mensa"), le pathétique tourné au ridicule("L'ultima prova") et le tragique("Don Giovanni a cenar teco"). Bref, une oeuvre digne du plus bel opéra de Mozart.