On peut habiter un Marais perdu dans la campagne et écouter Louis Armonstrong sous les étoiles, chanter le moi de mai la nuit sous les fenêtres et se prendre des pantoufles sur la figure, être pauvre comme Job et boire du Pommerolle jusqu’à plus soif sans en être pour autant être déconsidéré des gens de la ville. C’est dans cette brèche que Jean Becker pose sa caméra pour décrire, en rapprochant des êtres que tout séparerait au départ, les bouts de chemin fait ensemble à la manière dont Michelet en littérature dépeignait la vie rurale. Richard le pépé interprété par Michel Serrault toujours à la hauteur de son talent, apporte ou vient chercher de la vie dans ce marais dont il est également originaire, un flash back intéressant met en scène sous forme de clin d’œil son ancêtre sous les traits de Jacques Dufilho. Au fil des jours et des saisons, entre les grenouilles et les litrons de rouge, il fait connaissance avec les deux inséparables (Villerret/Gamblin) toujours à sauter sur l’occasion pour gagner un peu d’argent. A la moissonneuse, livrant du charbon, allant aux escargots ou bêchant le potager d’une vieille dame ; ils parviennent à survivre tant bien que mal avec fierté.
De coups de rouge en coups de rouge, le cinéma n’insistera jamais assez sur ces mœurs là, se scelle une amitié entre ces trois personnages qui vont tenter de briser le conformisme de classe sociale qui voudrait que certaines personnes ne devraient pas se mélanger avec d’autres. Au tour, alors, de Jean Becker de mettre en scène toute une dynamique des préjugés. Les deux enfants (Pierrot et Krikri) sont séparés par une grille dans le par cet ne pourront jouer ensemble que plus tard. La famille du pépé, de riches industriels, assez hostile à l’idée qu’il aille se divertir chez ses amis du marais est encore plus réticente à l’idée qu’il y emmène leur fils. Et commence ensuite à se développer une chaleur humaine obligée de part les origines de naissance qui place une relation presque de sang organisée pour briser la solitude et l’isolement de ces individus un peu rustres, simples mais courageux.
Dans la quiétude paisible des visites de voisinage nous voyons se développer de solides amitiés qui unissent des catégories sociales antagonistes grâce aux liens de la terre et de l’histoire, posés entre les deux guerres. Entraide, fierté et bravoure mêlées d’insouciance et de fatalisme semblent être les caractéristiques principales de ces gens de la terre qui donnent au temps un sens humain avant d’en faire une rentabilité. Progressivement, ils parviennent à supplanter la méfiance.
En découvrant cette petite société du marécage et ses navrants antagonismes, on s’enlise rarement dans l’ennuyeux car c’est avec une force espiègle d’un «Balzac des campagnes» ou d’un «Zola des champs» que Becker met du soin à filmer la vie au grand air et ses habitus stéréotypés. Honoré (Henri Dussolier), le bourgeois de la ville qui n’a jamais travaillé trouve l’émerveillement d’une première fois en n’importe quelle banalité comme aller aux escargots, manger des grenouilles ou défier ses acolytes en philosophe de la liberté ; rien ne les retiens dans leur manière d’affronter la vie, pas même un boxeur. Eric Cantona joue ici les rois du ring un peu soupe au lait dans une froideur naturelle surprenante qui ne prouve pas forcément des talents de comédien mais qui va crescendo jusqu’au déclenchement d’une crise de furie de lion très vite rattrapée par un Roland Magdane en bistrotier terrifié voyant son établissement se faire mettre en pièce par le colérique boxeur.
A travers Les enfants du marais, Becker extirpe du roman de Georges Montforez une fine analyse du lien social qui parfois soude ou s’effiloche entre les mailles de ces gens qui partent. Pamela qui a quitté son mari pochetron s’inscrit également dans un contexte d’exode rural et non pas seulement comme une rupture amoureuse ce qu’accentue encore de manière plus prononcée le départ de Marie (Isabelle Carré au sourire joufflu) pour Nice au bras d’un riche pharmacien.