Il est de ces films qui ont pour vocation de raconter une époque, en un lieu, un temps et un milieu précis, plus qu'une réelle histoire. « Les Enfants du Marais » en fait partie. Réalisé en 1998 d'après le roman éponyme de Georges Montforez, par Jean Becker. Ce dernier a, de ses dires, décidé de mettre la mise en scène au service des acteurs, les laisser s'approprier les personnages, les lieux et le film afin qu'ils dégagent le plus d'authenticité possible, la meilleure alchimie. C'est ainsi que nous retrouvons un quatuor de personnages aussi hauts en couleurs que sont les acteurs qui les interprètent.
Garis et Riton vivent près d'un marais, petit coin de paradis reculé et rural, dans un vingtième siècle entre deux guerres. Le premier est un ancien de Verdun, profondément meurtri, psychologiquement en tout cas, par les combats. Le second est un glandeur, un peu idiot sur les bords, affublé d'une femme qu'il n'aime pas et de trois enfants qu'il aime, ressassant l'amour de sa vie encore et encore à la même cadence que descendent les bouteilles de vins. Ils vivent et se contentent de peu, au gré des saisons, cueillant le muguet à l'approche de l'été, livrant du bois ou du charbon l'hiver...Les jours et les années se suivent et se ressemblent, au marais. A cela viendront s'ajouter d'autres personnages, Amédée, un poète mélomane et rêveur, ou encore un ancien grand pêcheur de grenouilles...
Au delà du peu d'histoire que le film a à proposer (pêle-mêle des amourettes d'enfants, de vrais amours d'adultes, et l'histoire d'un boxeur (ici le surprenant mais néanmoins bon Eric Cantona) à la carrière détruite), le film dégagera surtout une très grande poésie. Sur fond de morale totalement cohérente avec l'époque (la dignité du prolétariat par rapport à l'émergence des industriels, la psychologie des anciens soldats de la première guerre...) l'oeuvre se permet des élans de simplicité et de pureté, nous racontant finalement une vie qui a aujourd'hui disparue : celle d'un homme libre. Libre de vivre comme il lui semble bon, où il lui semble bon, fut-ce dans un endroit plus sauvage qu'a l'accoutumée, mais aussi tellement plus beau.
Ainsi se succèderont des scènes, puis d'autres, chacune racontant à la fois une petite histoire au sein du film en même temps que l'Histoire du film, et cette époque perdue. Au rythme des soirées entre amis au bord de l'eau et de la récolte des escargots, avec souvent un humour populaire mais efficace, le rendu global sera très léger et bourré de fraîcheur que même certaines scènes plus dures ne parviendront à entâcher. Chaque scène se montre très belle, mettant en valeur toute la sobriété et l'authenticité dont sont capables les acteurs autant que le réalisateur, qu'il s'agisse d'une récitation poétique ou simplement d'une écoute de jazz. On réfléchira au gré des saisons qui nous sont dépeintes, on y repensera, on se remettra parfois même en question de façon sous-jacente, quelques temps plus tard...et l'on sera dans tous les cas charmés, par le cadre paisible, verdoyant et ensoleillé d'une part, et d'autres part par le casting, qu'il s'agisse de Jacques Gamblin ou d'André Dussollier, aussi bien que des (très) regrettés Jacques Villeret et Michel Serrault.