La vallée d'Elah, c'est le lieu où David a affronté Goliath. C'est aussi la seule histoire qu'Hank arrive à raconter au fils d'Emily pour l'endormir, et c'est sans doute à l'aide de récits de ce type qu'il a élevé ses deux garçons, dont le cadet, le survivant, empaquetait ses affaires dans le sac que son père avait ramené du Vietnam.
Militaire, Hank l'est toujours autant, même maintenant qu'il est revenu à la vie civile : il s'arrête pour remettre la bannière étoilée à l'endroit devant une école près de chez lui, cire ses chaussures chaque soir, et fait son lit au carré où qu'il soit. Militaire, et flic, profitant de sa connaissance de l'armée pour lire des informations qu'Emily ne sait pas décrypter. Quand il découvre à la morgue les morceaux du corps de son fils, découpés, calcinés, déchirés par les chiens, il a quand même le réflexe de demander combien d'impacts de couteau ont été retrouvés sur les os, et provenant de combien d'armes différentes.
L'intelligence et la force de ce film, c'est de réussir à raconter une histoire extrêmement bien ficelée, porteuse de la plupart des ressorts dramatiques du genre (la détective qui doit faire ses preuves dans un univers de machos, Hank entre besoin de justice et désir de vengeance, la culpabilité dans le rapport père/fils) dans un sujet au cœur de l'actualité américaine et mondiale. Cette force du cinéma hollywoodien se manifeste une nouvelle fois ici, car sans démonstrations didactiques, "Dans la Vallée d'Elah" en dit beaucoup sur la folie de l'intervention U.S. en Irak.
Tout en restant concentré sur l'intrigue et les personnages, on découvre la gangrène que cette sale guerre a installée au plus profond de l'american way of life : des vétérans noient leurs chiens dans la baignoire, les tests de détection d'usage de la drogue dans l'armée ne sont pas faits en Irak, un matelas nu dans une chambrée évoque un soldat tombé là-bas, et surtout, de braves gars deviennent des tortionnaires. Car, comme le dit un de ces gars, "il ne faut pas envoyer de héros dans un endroit tel que l'Irak".
Un peu comme chez De Palma, le cadre est fractionné en plusieurs fenêtres : écrans de surveillance, vidéos dépixellisées récupérées sur un ordinateur, sans parler des commentaires à la radio se demandant "si les Irakiens vont lâcher la pipe à eau pour aller voter". Les scènes de guerre ne sont pas celles de "Apocalypse Now" ou de "Full Metal Jacket" : elles ressemblent à celles de la prison d'Abou Graib, prises à la dérobée par un téléphone portable, puisque seules les images d'une guerre chirurgicale sont autorisées par le Pentagone.
Progressivement, l'enquête de Hank devient tout à la fois la traque de celui ou ceux qui ont commis cet acte barbare, mais surtout une plongée dans le mécanisme qui a transformé Mike en un être aux antipodes des valeurs américaines aux quelles croit Hank - et malgré tout, Paul Haggis : "Les cinéastes ne supportent pas qu'on leur dise ce qui est patriotique ou pas, qu'on leur impose des idées. Je suis un patriote, je suis fier d'être Américain."
Parlant de David dans la vallée d'Elah, il dit aussi : "C'est un acte de bravoure extraordinaire. Mais en même temps, je ne peux m'empêcher de penser : quel genre de roi envoie un gamin sans expérience combattre un géant, alors que ses meilleurs guerriers ne veulent pas l'affronter ? C'est la corruption à l'état pur."
Paul Haggis avait initialement pensé à Clint Eastwood pour jouer Hank, et c'est vrai que Tommy Lee Jones compose un personnage proche des derniers rôles de celui pour lequel Haggis écrivit "Million Dollar Baby". Toujours aussi caméléon, Charlize Theron incarne une Emily qui rappelle par moment Jodie Foster dans "Le Silence des Agneaux", mélange de doute et de bravitude.
Partant comme une investigation classique, du genre de "Presidio: Base militaire San Francisco", "Dans la Vallée d'Elah" glisse progressivement vers une enquête morale, servie par une réalisation classique (que c'est bon de retrouver de temps en temps un cadre stable !) et une superbe photographie froide de Roger Deakins, le chef-op (entre autres) des frères Coen.
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