Derrière le faux humour de son titre-synopsis, Allen se cache. Il cache son autodérision – qu’il est quand même ravi d’exprimer quand il se fait traiter de sale vermine rampante. Il cache son talent comme il l’a toujours dissimulé sous des histoires que, à peu d’exceptions près, je n’aime guère. Il se cache comme son personnage dans le dos d’une femme entre deux de ces faux pas qui lui donnent toujours l’air de la bonne pomme dans une inspiration dantesque de Kafka.
Aussi, je ne suis pas étonné d’apprendre qu’il s’est inspiré de l’ouvrage Le Procès, car voilà bien tout son film : un Kafka parfum Fritz Lang accompagné de ses douceurs artistiques, empanaché d’un brouillard qui permet qu’on n’y voie que du feu quand il réutilise les mêmes décors pour différentes scènes, car Orion Pictures (qui a réclamé qu’Allen apparaisse pour rendre le film un peu plus audience-friendly) était aussi moribond que la relation du réalisateur avec Mia Farrow.
L’inexpressionisme de leurs personnages résonne dans la brume surabondante comme la parodie d’un biopic de Jack l’Éventreur qui revisite avec une certaine jubilation une cité rétro-néo-noire où tout se passe dans des ombres dont la tâche ne se résume pas à transformer la lumière en cet étonnant solide que les silhouettes découpent plutôt que d’être découpées dedans : dans Kafka, c’est l’impuissance qui frustre, or Allen la porte au niveau de l’inconnu : celui qui remplit les ruelles sombres où rôde un tueur, celui qui agite des habitants clairsemés & les groupe sous l’égide d’une justice populaire confuse, sans âge ni raison, où la familiarité du frêle idiot incarné par le réalisateur est l’accord à la fois discordant & majeur donnant à l’œuvre son caractère de multiples contrepieds.
En l’espace d’une seule nuit qui est tout le temps dont on dispose pour découvrir une ville prise de panique pas trop similaire à New York, on sera confronté à toute l’inefficacité de personnes supposément antagonistes d’un Allen normal, guindé, angoissé & agaçant. C’est parce que tout, dans Ombres et brouillard, devient prétexte à tout autre chose, de sorte qu’il se prend lui-même à contrepied. Ni le crime, ni l’amour, ni les décors ne seront vraiment le sujet, ce qu’il est difficile d’accepter quand le casting prend tout tellement au sérieux, mais cela se tient aussi dans le rôle tout anti-lui-même qu’Allen donne à Malkovich.
Encore une fois, Allen, que je croise au hasard d’occasions régulières, me fait non seulement dire que ses films sont ennuyeux & terriblement attachants, mais qu’il faut vraiment que je me fasse à l’idée que son radotage renferme une incroyable maîtrise de l’autodérision.
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