Adapter Flaubert n'est pas chose aisée. Si on relit Un coeur simple, on est frappé par la fluidité des phrases, la précision du récit, la profondeur du sens, et l'exactitude du mot. Aussi ne s'agit-il pas de lire le livre en faisant défiler des images, mais plutôt de le retranscrire pour en faire rejaillir toute sa force. A ce titre le travail de Marion Laine est exemplaire. On sent qu'elle a pris le texte à bras le corps, gommant ici, développant là, pour traduire en image un récit dense à l'atmosphère lourde. Lorsqu'elle écarte un épisode, lorsqu'elle dramatise ce qui tenait en une ligne, lorsqu'elle écrit des pages absentes, c'est toujours avec une parfaite cohérence et une indéfectible fidélité à l'univers flaubertien. Ainsi, le personnage de Félicité est cette fille naïve et forte, aimant de tout son être, perdant celles et ceux qu'elle aime pour se plonger aussitôt dans un nouvel amour, lui aussi condamné à l'abandonner. De même, Mme Aubin, personnage beaucoup plus présent que dans le livre, devient un Madame Bovary subitement veuve, impatiente et neurasthénique, à qui Marion Laine invente une liaison avec son professeur de musique, cousin romanesque de Léon. Cultivant l'art de l'élipse, s'attardant sur des détails chargés de sens, la réalisatrice peint le portrait de trois femmes seules et égarées, la maîtresse, sa fille, et sa servante. En fin de récit, le rapprochement de Félicité et Mme Aubin est d'autant plus poignant qu'on a souffert avec elles. Sandrine Bonnaire fait vivre son personnage avec toute la générosité qu'on lui connaît (on pense à La cérémonie). Marina Foïs est elle aussi exeptionnelle et bien plus crédible ici que ne le fut Isabelle Huppert chez Chabrol (lequel avait quant à lui raté son adaptation). Pas de surenchère, pas de maquillage pour faire vieillir les personnages (on est loin de La môme), une mise en scène sobre, efficace, mais pas assez radicale pour faire de cette adaptation intelligente et humaine un film inoubliable.