Ce film est une merveille. Et il fallait bien ça pour qu’Henry Fonda puisse tirer sa révérence. Par le biais du générique de début, le réalisateur Mark Rydell plonge tout de suite le spectateur dans une ambiance émotionnelle digne d’un grand film, par le biais d’un superbe lever de soleil baignant de ses couleurs rougeoyantes les eaux tranquilles d’un lac que seule une légère brise parvient à perturber, réveillant au passage la faune diurne parmi laquelle figurent entre autres les plongeons huards, le tout étant accompagné d’un air de piano empreint de nostalgie appelant à la flânerie. Déjà le charme agit, et ce avant même que Henry Fonda et Katharine Hepburn ne fassent leur entrée en scène en arrivant sur leur lieu de villégiature estivale. Pour continuer à parler de la réalisation, le clap de fin m’a rendu totalement admiratif sur la façon dont Mark Rydell a construit son film. Par un générique de fin similaire à celui du début, il donne l’impression au spectateur d’avoir suivi les Thayder au cours d’une seule, unique et néanmoins immense journée, elle-même composée d’une bonne trentaine de journées soit une gigantesque journée de 720 heures au minima. Et puis surtout le cinéaste a fait parler toute sa sensibilité par la poésie qui ressort de ses images, par les petites parenthèses qu’il s’est accordé sur les beautés enchanteresses prodiguées par Dame Nature : tantôt des herbes à l’aspect phosphorescent qui dépassent la ligne d’eau, tantôt les nénuphars qui flottent tranquillement, tantôt les plongeons huards évoluant en couples… un vrai petit coin de paradis ! Ce n’est pas tout : non seulement il a tout compris des sentiments humains et ce qu’ils peuvent offrir de plus beau, mais en plus il a su les mettre en images par une caméra emplie de tendresse. Mieux, on sent une certaine admiration envers ce vieux couple, il est vrai très attachant.
Cependant rien n’aurait été possible sans le scénario d’Ernest Thompson. Partant de sa pièce à succès, son adaptation au grand écran aborde avec beaucoup de sensibilité une jolie palette de thèmes liés à la vie : ainsi le spectateur sera amené sur les questions de l'amour filial, de la transmission, de la fin de vie, des bonheurs simples de l'existence, du conflit entre générations, du respect et même… de l’abus de faiblesse ! En effet, on verra deux jeunes réclamer 38 $ pour le plein de carburant alors que la pompe n’en affiche que 19. Et c’est là la seule erreur scénaristique que j’ai pu relever, car sur le plan d’après le montant affiché est de 13, 20 $.
Encore faut-il que les acteurs choisis réussissent à transposer ce genre de choses. D’autant plus que ces thèmes sont récurrents, revêtant leur habit d’intemporalité puisque ce sont des questions qui concernent tout le monde, quelle que soit la génération. Eh bien côté distribution, le contrat est rempli haut la main ! Impossible de ne pas commencer par ce grand monsieur que fut henry Fonda tant il est stupéfiant de vérité. Difficile d’expliquer une telle performance : soit il savait que lui-même n’en avait plus pour très longtemps car il était déjà malade au moment du tournage, soit parce que le scénario lui a parlé au plus profond de lui (c’est peut-être lié avec le premier cas), soit il était tout heureux de travailler pour la première fois avec sa fille Jane, ou alors c’est dû au fait qu’il est été revigoré par son Oscar d’Honneur tout récemment reçu. A moins que ce soit un conglomérat des quatre raisons à la fois. Il a donc prêté ses traits à Norman Thayer, tendrement surnommé vieux maboul, un tout jeune octogénaire hanté par les ravages de la vieillesse et donc de la mort. Cette obsession a développé en lui un humour caustique pas toujours compris, excepté de sa femme. Et je dois dire que du haut de ses 76 ans, Henry Fonda est tout bonnement hallucinant en ce vieux bonhomme de 80 piges ! Son immense talent lui a permis de servir avec brio tout ce qui caractérise son personnage : aplomb, mauvaise foi, et en plus il aime bien « emmerder » son petit monde, qu’il le fasse sciemment (ou pas) par son humour pince-sans-rire, tout cela par le biais de quelques répliques particulièrement savoureuses. Un sale vieux, quoi… Mais un sale vieux qu’on ne peut pas détester, bien au contraire. Mieux, on s’y attache ! Encore mieux, il suscite même de la peine quand il a son moment de panique dans la forêt. C’est aussi l’occasion de découvrir d’autres facettes de son personnage, telle que la fragilité et l’humilité, essayant d’avancer tant bien que mal en laissant le passé au passé. Le plus étonnant est qu’on le voit évoluer tout au long du film, et de voir son visage se transformer tout du long, allant même jusqu’à adopter des comportements puérils dès qu’il s’agit d’aller à la pêche. Par ce rôle, sa performance fut tellement saisissante de naturel et de vérité qu’il obtint enfin son 1er Oscar dédié à une interprétation en particulier. Il faut dire qu’il a été bien aidé par ceux et celles qui lui ont donné la réplique. Le jeune Doug McKeon vient illustrer parfaitement le fossé culturel qui se creuse entre les anciennes et les jeunes générations, aussi bien au niveau des loisirs que du langage. Entre Norman et Billy Jr, c’est à celui qui sera le plus désagréable ! Il y a aussi Jane Fonda, qui incarne parfaitement les difficultés à communiquer avec le paternel quand les hommes étaient encore trop rudes, trop occupés à faire vivre leur foyer pour se pencher sur la fibre paternelle. Mais à l’instar de son personnage, elle semble avoir très envie de profiter au mieux de son père vieillissant. Et enfin il y a Katharine Hepburn en épouse aimante et dévouée. Superbe de dévotion, elle contribue à rendre son couple parmi les plus attachants qui soient. Mieux, avec le concours de son compagnon de scène, elle nous sert une scène déchirante qui fait monter immanquablement les larmes aux yeux. Un film merveilleux à tout point de vue donc, y compris dans la photographie qui contribue à nous rapprocher de ce charmant couple de vieux, pour une immersion déjà proposée par la caméra intimiste et admirative de Rydell.
Je crois qu’avant tout, Henry Fonda ne pouvait pas rêver mieux comme rôle, lui qui décèdera seulement quelques mois après la sortie du film sur les écrans. Alors qu’on ne s’attend guère à une telle force dans le propos au cours duquel chacun va l'air de rien se faire remettre à sa place, celui-ci prend une dimension encore supérieure avec la disparition de l’acteur. Henry Fonda a tiré sa révérence à temps, et il l’a fait avec panache. Aussi, quand le clap de fin résonne, je crois que nous pouvons lui adresser une standing ovation. Franchement, elle ne serait pas volée.