Dans La Menace (Corneau, 1977), Yves Montand évite ses petites mimiques, ses clins d’œil et son accent lourdingue de Marseille, tics qui prétendait-il faisait son succès sur scène. Bel effort de sobriété, porté par la nature du rôle dramatique, mutique et physique qu’il joue et qui pourrait sans inconvénient passer à Steve McQueen ou Paul Newman : action, dissimulation, secret, cascades. Il s’agit du patron d’une entreprise de transports qui s’accuse d’un crime (qui n‘existe d’ailleurs pas) puis disparaît pour sauver la superbe Carole Laure qu’il aime de l’accusation qui pèse sur elle – Carole qui, d’ailleurs, estime à juste titre qu’il lui suffit d’être belle pour incarner parfaitement ce rôle très triste. Marie Dubois, elle, donne à son personnage de l'amante quitée le côté tragique et inexorable qu’il a dans le scénario de Daniel Boulanger, auteur d’ailleurs des dialogues, rares et impeccables. Ajoutons un détective-Balmer plus inquiétant que jamais et le casting est parfaitement au point pour un bon thriller français.
Montand conduit dans la moitié du film : de gros camions, des R5, des Volvo, des Américaines etc. Les cascades sont nombreuses, spectaculaires, parfaitement réglées par la fameuse équipe de Remy Julienne, et les vingt dernières minutes du film sont une époustouflante course-poursuite entre une coccinelle Volkswagen et de gros camions canadiens qui fait apparaître comme anodines les poursuites de Duel (Spielberg, 71), French Connection (Friedkin, 71) ou Bullit (Yates, 69) auxquelles Corneau rend clairement hommage.
Cerise sur le gâteau, on profite souvent d'une musique de jazz originale, serrée et tendue, signée Gerry Mulligan, musique qui colle parfaitement à l’action et donne à ce film l’ampleur d’un grand film noir qui se compare sans difficultés aux meilleurs thriller d'Hollywood.
Cet excellent film d’action français contribue à la réhabilitation, déjà ancienne, du très sympathique Alain Corneau (1946-2010), que Libération et Les Cahiers avaient étripés injustement dans les années 70 pour des raisons politiques, alors que son classicisme « à la française » dans la suite de Melville etc fait merveille aujourd’hui au moment du réexamen de très bons et très solides films comme le film politique France société anonyme (74), les deux célèbres films noir Série Noire (79) et Le Choix des armes (81), le film historique et musical Tous les Matins du Monde (91) etc.