Viridiana, 1961, de Luis Bunuel, avec Fernando Rey. Film magistral qui laisse un malaise durable, tant la charge anticléricale est forte, tant le réalisme social, voire, le surréalisme des images, est violent. Scénario, mise en scène, dialogues, tout est absolument impeccable dans cette œuvre d’art. En elle-même, l’histoire de Viridiana, petite nonne qui s’apprête à prononcer ses vœux, y renonce sous l’indirecte pression de son oncle (ô combien pervers Fernando Rey !) et décide de pratiquer sur le terrain la charité chrétienne, ne serait qu’un mélodrame ordinaire, si le talent du cinéaste ne lui donnait pas une telle puissance de sens, une telle richesse de contenu. Le film est grandiosement sombre, pessimiste : l’innocence sera « forcément » pervertie, la générosité sera « forcément » vouée à l’échec, puisqu’elle induit la soumission du bénéficiaire, l’amour se limitera au plaisir, toujours frustrant. Le destin de la jeune fille est tracé sans complaisance, les objets de culte chrétien qu’elle chérit sont détournés jusqu’au blasphème. Renonçant à l’amour exclusif de Dieu, elle semble accepter, comme une expiation, de partager finalement sa vie avec son cousin, dans une sorte de ménage à trois formé avec la bonne. Les scènes les plus magistrales sont celles des gueux, qui, en l’absence des maîtres se lancent dans une fête quasi orgiaque. Ils se libèrent ainsi de la domination qu’exerce sur eux, leur généreuse bienfaitrice, et manifestent avec une énergie et une vitalité animales, leur refus de la soumission à l’ordre charitable installé depuis des siècles. L’un des summum du film est le pastiche clairement indentifiable de la Cène de Léonard de Vinci. De nombreuses scènes rappellent aussi Goya, lorsqu’il traduit ses angoisses en peignant un monde obscur et cauchemardesque, peuplés de vils et de malfaisants (Le Sabbat des Sorcières).Bunuel ne fournit ni thèse ni message: il donne à voir, sans jugement, un monde qui se démène entre sa foi et ses péchés.