Avec « Viridiana », Bunuel revient dans son Espagne natale, alors sous dictature franquiste. Et au vu du long-métrage, on comprend sans peine que la censure lui est tombé dessus! Le cinéaste espagnol réalise ici une véritable oeuvre iconoclaste, n'ayant pas peur de tirer sur tout ce qui bouge, que ce soient les personnages ou les institutions. Les pauvres et les riches, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, tout le monde en prend pour son grade. La postérité a surtout retenu la virulente charge anticléricale, qui est en effet omniprésente, mais il ne faudra pas oublier les autres cibles qui viennent compléter ce propos. Ce qui intéresse surtout Bunuel ici, je crois, c'est de confronter les idéaux (religieux et autres) au réel, à la cruauté du réel. Ainsi, la charité et les sacrifices de Viridiana n'aboutiront qu'à des échecs, voire à des situations pire encore. La volonté ascétique de pousser les hommes vers le haut, vers le ciel, ne fera que les amener à un stade encore plus animal. On pourra bien sûr reprocher au réalisateur de ne présenter que le pire, sans laisser la moindre possibilité à un espoir de rédemption face à cette bestialité humaine. Mais ce qui importe plus, peut être, c'est de retenir cet échec de l'utopie religieuse, comme enfermée dans sa tour d'ivoire et ses illusions d'une humanité sans failles. Ce qui est intéressant également, c'est la façon avec laquelle Bunuel met en scène ces failles de l'homme, incapables de résister à ses pulsions animales. « Viridiana » se divise alors en deux parties : la première présente le vieil oncle fétichiste face à sa nièce, juste avant que celle-ci n'entre dans les ordres. L'occasion de mettre en scène une relation transgressive, morbide et perverse, dans une sorte de remake du Vertigo hitchcockien (une femme réminiscence d'un amour mort, la demande de s'habiller à l'identique de la morte, etc..). Dans la deuxième partie, une galerie de « freaks » (des mendiants du village) prendront le devant de la scène, pour laisser éclater petit à petit toute leur animalité dans une ambiance fortement bacchanale. Cette partie-là est la plus réjouissante, dans son humour et son décalage, qui atteint les sommets avec le fameux plan revisitant la dernière Cène.
Au niveau visuel, Bunuel réussit à très bien utiliser le langage des images, en jouant avec des signes symboliques, des objets qui prennent différentes significations au cours du film : un crucifix-canife, une corde à sauter, un pis de vache, ou encore un montage alternant les gestes d'une prière et le travail manuel sur du bois. L'utilisation de la musique est également pertinente, en phase avec les différents stades du long-métrage.
Au final, on ne sait pas très bien ce que va devenir Viridiana, comme si Bunuel nous laissait juger de son personnage. Une situation apparemment neutre, mais on sent bien que l'ombre de l'animalité pourrait revenir à chaque instant. Un final à l'image du film : dérangeant mais fascinant.