Financé en partie par Soavi lui-même et par le Studio Canal ,« Dellamorte Dellamore » fait partie de ces films qui ne ressemblent à aucun autre, des oeuvres définitivement uniques. Sans participer directement au projet, l'auteur du roman Tiziano Sclavi, va se montrer particulièrement enthousiaste au scénario écrit par Soavi et Gianni Romoli. Un scénario qui va également décider Rupert Everett, premier choix du cinéaste, à s'engager dans l'aventure. L'acteur est ensuite vite rejoint par François Hadji-Lazaro, puis par le délicieux mannequin Anna Falchi.
Un casting formidable qui convient tout a fait à cette adaptation, Everett personnalisant parfaitement sur le plan visuel le héros de la BD « Dylan Dog ».
Aussi, après un tournage de près d'un mois et demi dans deux cimetière Italiens par des températures souvent glaciales pour les scènes de nuit, Soavi achève son film avec un faible budget et en ayant improvisé chaque jour sur la direction à donner à son film. Ainsi, de nombreuses séquences furent modifiées lors du tournage ou tout simplement supprimées. Au final, reste un maelström d'idées et de scènes décalées toutes plus poétiques ou burlesques les unes que les autres qui donnent au film son ton si unique.
Cinéaste privilégiant l'image et le visuel, Soavi nous livre un film magnifique oscillant entre le macabre et le merveilleux. Un véritable univers dans lequel des feux follets parcourent le cimetière dans lequel Dellamorte et le personnage d'Anna Falchi font l'amour. L'une des scènes qui montre le travail accordé à la photographie de Mauro Marchetti, l'un des artisans essentiels à la réussite artistique du projet. De nombreuses scènes rappelant souvent l'univers gothique de Mario Bava et même parfois le monde putride de Fulci (le magnifique ossuaire). Un univers véritablement absurde et surréaliste à l'image du Zombie-motard ou encore lors des différents massacres perpétrés par Dellamorte dans la ville ou dans l'hôpital. A la fois romantique, tragique et poétique, le film en plus de nous livrer une succession de magnifiques tableaux contient un véritable fond. Véritable illustration d'un esprit dérangé, le film n'est qu'un monde rêvé par le personnage principal, un solitaire en marge de la société (témoin ses incursions en ville) qui se marginalise lui-même en faisant courir le bruit de son impuissance. Un individu qui se crée son propre monde mais qui se retrouve prisonnier de celui-ci, un monde dans lequel la réalité vient souvent frapper à la porte mais qui est sans cesse repoussée par Dellamorte à coup de fusil. A ce titre, le personnage de Gnaghi semble représenter le véritable Dellamorte, à savoir un être asocial et autiste qui vit terré dans une cave et dans le silence, un alter ego réaliste en somme, qui refuse le monde et la réalité encore bien plus que lui.
Par ailleurs, c'est ainsi pour fuir cette solitude maladive que Dellamorte se crée son amour pour la femme idéale symbolisée par 3 incarnations de celles-ci : la veuve, l'amante passionnée et la putain. Trois relations qui seront voués à l'échec et qui sonnent comme autant de tentatives manquées de sortir de sa marginalisation. Francesco tuera la première en la prenant pour un zombie (magnifiques scènes de résurrection dans l'ossuaire), la seconde lui refusera toute sexualité et sera attirée par lui pour sa prétendue impuissance, avant de se raviser totalement, et enfin la dernière au moment de réclamer le montant pour ses prestations sera purement et simplement brûlée vive par un Francesco trahi par une passion qu'il pensait sincère. Illustration d'une névrose pathologique, le film est donc une oeuvre d'une richesse énorme, et dont le statut culte provient en partie des différentes interprétations possibles du sens de chaque scène. La quête de l'amour impossible de Francesco comporte ainsi de multiples niveaux de « lectures ». Cet homme emprisonné dans son univers ne parvient pas malgré tout à aller au-delà de certaines limites. Son monde comme le monde réel est cependant guidé par deux constantes : l'amour et la mort.
En définitive, Soavi nous livre ici ni plus ni moins que son chef-d'oeuvre définitif. Un film gothique terriblement romantique et poétique qui n'hésite pas à mélanger les genres. Parsemé de moments de comédie, de fantaisies et d'un humour noir omniprésent, Dellamorte dellamore apparaît véritablement comme un patchwork dans lequel se mélangent les émotions. Un délicieux et intelligent spectacle macabre dont les petites maladresses techniques (la scène des feux follets et ses fameux fils) ne sauraient amoindrir la portée et la réussite. Une oeuvre extrêmement picturale (Soavi rend hommage à plusieurs toiles de maîtres tout au long du film) repris qui enchaîne les moments de grâce pour parvenir à un résultat ne ressemblant à aucun autre film connu.