Couvert de lauriers par la critique internationale, élu en 2009 meilleur film d’animation par la triade consensuelle Oscars / Golden Globes / BAFTA, et même récompensé par les Grammy pour la scie « Down to Earth » de Peter Gabriel, « WALL-E » demeure pourtant l’illustration la plus frustrante des dégâts causés par le rachat de Pixar par Disney en 2006.
Le studio d’animation n’a bien évidemment rien perdu de sa maestria graphique. De nombreux plans sont splendides, particulièrement dans la séquence d’ouverture qui montre l’activité du robot nettoyeur dans une terre devenue un gigantesque dépotoir, abandonné des humains. Ces dix-sept minutes sans le moindre dialogue offrent un plaisir purement visuel assez réjouissant et la matière d’un grand film d’animation semble en germe ici. Le design des personnages, fortement inspiré de « Appelez-moi Johnny 5 » pour WALL-E, un peu Storm Trooper sur les bords pour Eve, s’avère malin et probablement très efficace sur les bambins.
Une autre réussite, souvent relevée, est le générique de fin qui esquisse une sorte d’histoire de l’art en accéléré (peintures rupestres, hiéroglyphes, mosaïques, pointillisme, impressionnisme, pastiches de Turner et Van Gogh…) pour se finir ironiquement sur un hommage au pixel art.
Cependant, ces réussites techniques et visuelles ne sauraient masquer un scénario guère cohérent, bâti à l’avenant. Après la séquence d’ouverture contemplative, se succèdent une série de sketches comiques qui auraient pu fournir la matière de courts-métrages plaisants. D’aucuns ont comparé le robot gaffeur, maladroit auprès de sa belle, à Buster Keaton. Mais loin du burlesque millimétré de « l’homme qui ne rit jamais », nous assistons plutôt aux farces les plus désopilantes du Chaplin tardif, tout en gadins et mimiques forcées.
Suite à ces dix minutes d’errance, l’enjeu narratif qui est tout de même la mission d’Eve (rapporter à bord du vaisseau spatial « Axiom » une plante afin de prouver la possibilité d’une vie sur Terre) se trouve confondu et brouillé avec un « save the princess » des plus convenus. Les deux lignes narratives se superposent sans jamais se mêler, et le scénario se trouve bien empêtré jusqu’à la fin de la première heure de film dans cette romance sentimentale entre robots. Certes, la découverte de l’« Axiom », son fonctionnement interne, son humanité avachie dans des fauteuils volants et lobotomisée par des spots publicitaires, s’avère plutôt bien campée. Mais que dire de ce ballet amoureux dans l’espace rythmé par le « pschittt » d’un extincteur et de ces multiples fausses-morts de WALL-E pour revigorer un intérêt dramatique déjà bien mis à mal ? C’est lorsque la parade de séduction est reléguée au second plan que l’intrigue s’accélère et offre avec la mutinerie des robots, la prise de contrôle du vaisseau par AUTO, et la résistance du Capitaine un finale plutôt correct. Plutôt correct, oui, à condition évidemment d’oublier les cinq dernières minutes qui lorgnent vers le tire-larmes le plus éhonté…
Ainsi, en plus d’un bidouillage scénaristique assez déroutant, « WALL-E » pêche par le ton choisi, et c’est ici que l’influence de Disney commence à faire mal. Une défense assez facile serait de se retrancher derrière l’argument : « oh, mais c’est un film pour enfants avant tout ». Cet argument ne fonctionne pas à deux égards. Tout d’abord, il ne me semble plus possible d’adopter ce ton condescendant dans les œuvres pour enfants depuis « la leçon Lewis Carroll » au 19° siècle. « Alice au pays des merveilles » est en effet un conte captivant car l’auteur se situe réellement dans un imaginaire enfantin, fondé sur une logique propre et déroutante, mâtinée de « non-sense » et d’authentique fantaisie, parfois même de licence scandaleuse. L’animation japonaise, par exemple, a très bien assimilé cette leçon depuis les années 80, quand « WALL-E » se fourvoie encore en 2008 en proposant un film d’adultes, avec une logique et une morale édulcorées censées être convenables pour les gamins.
L’argument susmentionné achoppe également sur le syntagme « avant tout ». Il est devenu en effet convenu de deviner en chaque production Pixar ou Disney une profondeur insondable, une grille de lecture multiple qui semble la destiner aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Ah ! ce brave Bruno Bettelheim a fait bien du mal à nos esprits… Il est évident que les références culturelles semées dans « WALL-E » peuvent réjouir un public cultivé et cinéphile.
Mais le tyran AUTO dont l’œil rouge évoque immanquablement HAL-9000 dans « 2001, l’odyssée de l’espace », les diverses geekeries starwarsiennes et startrekiennes, la voix de Sigourney Weaver qui résonne dans le vaisseau, la pléthore d’autoréférences aux productions Pixar antérieures dans la caverne d’Ali Baba de WALL-E, se posent cependant sur le film comme de grosses balises, procurant un plaisir fugace et en définitive assez vain.
Ici, c’est à Tarantino et à tout ce cinéma référentiel puis simplement autoréférentiel qu’il faudrait s’en prendre…
Un autre tribut donné aux adultes pour se dédouaner du plaisir coupable de se vautrer devant un dessin animé serait la richesse thématique du propos. Presque toutes les critiques voient en ce film d’animation une « fable écologique ». Mouais…
La terre est certes un immense dépotoir, mais lorsque le Capitaine commence à prendre conscience de la nécessité d’un retour sur Terre, en zappant sur une sorte de Wikipédia interactif (nouvelle référence, au « Cinquième élément » cette fois-ci), il dérive bien vite du mot « terre » au mot « danse ».
Ce qui est en jeu ici, et d’autres plans le prouvent, c’est donc davantage une ode au dynamisme américain, à sa capacité de mobilisation, de colonisation et de sauvetage du monde, qu’un réel volontarisme écologique. « This land is your land, this land is my land / From California to the New York Island / From the Redwood Forest to the Gulf Stream waters /This land was made for you and me. » Cet esprit pionnier n’aurait en somme rien de déplaisant, s’il ne se camouflait derrière une fausse conscience vaguement coupable et culpabilisante.
« WALL-E » est en définitive une sorte de cadeau empoisonné, un emballage splendide esthétiquement, pour un contenu dégoulinant de bons sentiments, fondé toujours sur l’éternel amour, condescendant pour le public juvénile, et attestant d’une vision du monde simpliste et gênante à divers égards. La tendance ne fera que se confirmer par la suite chez Pixar, jusqu’au scandaleux « Vice-Versa »… Mon dieu, pour une véritable fable écologique, pour des nuances, regardez plutôt Miyazaki !