Dans le Sahara de la programmation estivale, entre énièmes films de superhéros et comédies pour ados attardés, une nouvelle fois, la bonne surprise nous vient des créatures numériques des studios Pixar. Un an après "Ratatouille", le rat bleu cuisinier, la bande de John Lasseter frappe fort une fois de plus, en réussissant à passionner petits et grands pour les improbables amours d'un tas de ferraille que la solitude a rendu fan de "Hello Dolly", et d'une robote avec une puissance de feu digne des tripodes de "La Guerre des Mondes" et carrossée comme un Mac (design arrondi, blancheur sans aspérité et ergonomie d'avant-garde : hommage à Steve Job qui a participé quelques années à l'aventure Pixar).
Bon, on avait déjà essayé de nous intéresser aux aventures de fourmis, de poissons, de jouets et même de voitures anthropomorphisées, alors, pourquoi pas des robots ? Déjà doté d'attributs copiés sur l'homme : membres inférieurs (sur chenilles), bras manipulateurs, tronc et tête articulée, avec une silhouette à la E.T., WALL-E a eu 700 ans pour s'humaniser encore davantage, notamment en sublimant son ennui par l'écoute de cassettes ou la vision de comédies musicales.
Sa compagne d'aventure a profité de sept siècles d'évolution technologique pour devenir une épure : quand WALL-E est tout en protubérances et en saccades (pas facile de foncer avec des chenilles sur un parterre de déchets), EVE au patronyme si évidemment féminin symbolise la grâce éthérée et la délicatesse, nonobstant une irritabilité certaine.
Première qualité évidente de "WALL-E" : la réussite de ses personnages principaux, tant du point de vue du graphisme, que de ceux de l'animation et de la personnalité. Mais peut-on tenir 1 h 30 avec un tel duo et une telle intrigue : le ver de terre robotique amoureux d'une étoile hi-tech, ou la romance d'une tortue logo et d'un ibook ? C'est ce qu'ont dû pressentir les scénaristes, puisqu'ils font rapidement rebondir le récit, en envoyant les deux héros sur le vaisseau où engraissent les hommes. C'est dommage que cette délocalisation ait lieu si rapidement, tant les 20 premières minutes sont époustouflantes : on y suit WALL-E et son unique compagnon, un cafard (n'oublions pas que c'est l'unique espèce animale à avoir survécu à Hiroshima), dans le décor de ruines urbaines où inlassablement, il élève des ziggourats de compressions de déchets.
Quand les deux héros arrivent dans la station spatiale, le graphisme devient beaucoup plus rectiligne et policé, et chaque fois que WALL-E laisse une trace de chenille derrière son passage, un robot nettoyeur surgit pour effacer cette souillure avec autant d'obstination que l'écureuil de "L'Age de Glace" en a à traquer sa noisette. On se prend alors à regretter les superbes textures du désordre humain, et l'inventivité du Robinson électronique dans sa grotte d'Ali-Baba, même si, lorsque qu'EVE est conduite dès son retour à l'atelier de réparation, l'action de WALL-E libère dans le vaisseau les freaks numériques, lointains descendants des habitants du coffre à jouets de "Toy Story" et qui perturbent le totalitarisme de l'ordre cybernétique.
Cette réserve est bien sûr insuffisante pour minimiser le plaisir du spectateur devant ce sentiment si réconfortant d'être pris pour quelqu'un d'intelligent. Car encore plus que dans "Ratatouille", les scénaristes ont pris comme partie de raconter l'histoire qu'ils avaient envie de conter, sans tomber dans la facilité ou le mièvrement correct. Il y a bien un savant dosage d'action, d'émotion, de gags qui rend ce récit accessible à tous les âges ; mais cette universalité ne se fait pas au dépens de la nécessaire complexité de la narration, ni d'un regard sans complaisance sur les effets de l'ultralibéralisme sur notre monde.
Pas étonnant donc que les Républicains aient accueilli si fraîchement le film, devant une vérité qui les dérange : les hommes obligés de quitter une Terre devenue irrespirable et couverte de déchets, des humains transformés par l'oisiveté et l'apesanteur en morses échoués sur une plage, et une gouvernance qui leur a échappé sans qu'ils s'en rendent compte. D'ailleurs, le pilote automatique a une lampe rouge clignotante qui rappelle forcément celle du HAL de "2001 : l'Odyssée de l'Espace", et la voix d'une Seagourney Weaver peu rancunière, quand on se souvient des soucis qu'elle a rencontré dans de semblables vaisseaux. Quand le capitaine réussit à se lever et à marcher, symbole de son affranchissement de la machine (et clin d'oeil au Dr Merkwüdigliebe), c'est bien sûr "Also sprach Zarathustra" qui retentit. Autres références majeures, "E.T." : le doigt métallique de WALL-E pointé vers la Terre alors qu'il murmure "Home", et "Star War", avec des clones de R2D2 à la pelle, et surtout le recours au bruiteur de la saga, Ben Burtt, pour faire parler le robot terrien avec une voix de synthèse seventies qui va vite devenir culte.
Film intergénérationnel talentueux, "WALL-E" représente une nouvelle et incontestable réussite de ces créateurs américains capables de s'exprimer à la lisière du système hollywoodien tout en touchant le plus grand nombre: on en redemande.
http://www.critiquesclunysiennes.com