Pas si étonnant de voir que je suis la deuxième et dernière personne à poster une critique sur The Bridge : encore un film censuré. Pas même sorti au cinéma, le film est disponible en DVD en VO uniquement, avec un sous-titrage disponible, l'anglais. En somme, si on veut le voir, il faut comprendre l'anglais. Vraiment dommage quand on voit la qualité de ce documentaire. Cependant, la censure est tellement compréhensible : au même titre que tous les artistes engagés (Sans Frontières et son absence de sortie au cinéma à cause d'un fort engagement dans l'humanitaire, le clip de La fin de leur monde d'Akhenaton, trop vrai pour être montré), on ne veut pas entendre parler de suicide au cinéma. Enfin, si. On veut entendre parler de suicide comme "Comment empêcher le suicide", des documentaires psychologiques, ou médicaux, ça oui. Mais The Bridge est dans la narration du mal être, dans le tragique et la sombreté. The Bridge, c'est le témoignage de gens qui vont pas bien, et nulle recherche de solution, nul jugement, c'est ça que j'ai aimé, l'objectivité totale du réalisateur. Eric Steel a filmé pendant un an le Golden Bridge et a vu plus d'une vingtaine de personne se jeter de ce pont. Lorsqu'une femme roulant sur le pont aperçoit un homme sauter dans son rétroviseur, elle s'empresse d'alerter les secours : "Cela arrive tout le temps" répond le garde-côtes, d'une voix trop posée pour être réaliste. Des gens se tuent et Eric Steel nous le montre sans tabou. Il interviewe les familles des suicidés, retrace leur histoire. Il ne cherche pas à faire une enquête, à déceler un mal-être ou à comprendre ce qui a poussé ces personnes à sauter. Il leur fait un hommage, tout simplement. Pas de psychologie de bas-étage, on a juste le récit d'une souffrance trop cachée pour être comprise. L'ambiance du film est vraiment triste, il faut pas s'attendre à un film cartésien ou scientifique, tout est dans les sentiments larmoyants et dans la vérité, aussi crue que les images des personnes sautant du pont.
Ce qui est beau dans ce film, c'est sa rareté, et l'envie du réalisateur de montrer des choses telles qu'elles sont, sans poser de jugement sur le suicide. Il raconte, nous touche (au passage merci à Alex Heffes le compositeur pour son harmonie avec les images), nous immerge dans la tête de ces gens perdus, sans les dégrader. Les images sont poignantes, les interviews sont extrêmement bien maniées (et j'imagine combien cela doit être dur à diriger), et je ne parle pas du montage, également manié avec subtilité (alternance de témoignage avec des images du pont, la fusion de tous les témoignages autour d'un même mal, sans séparer catégoriquement les témoignages de chacun, etc) et qui fignole la beauté de ce documentaire. Un film que devraient regarder beaucoup de gens, surtout les chargés de programmation au cinéma, car il aurait valu sa place en tête d'affiche et au minimum un sous titrage dans d'autres langues. En somme, un peu de reconnaissance pour la rareté de ce film et l'intérêt que ce réalisateur porte aux autres.