Pour Il a suffi que Maman s'en aille, René Féret signe une oeuvre inspirée de son expérience en tant que père de famille : "Ici, c'est plutôt les relations entre mes filles et moi qui m'intéressaient mais je me voyais mal traiter un tel sujet directement. Alors j'ai observé quelqu'un de très proche de Fabienne (ma femme, la monteuse du film et la mère de nos deux filles) et je me suis dis : "tiens c'est quand même une histoire très intéressante, ce type de mon âge, maître d'oeuvre au fin fond du Limousin, qui a un fils de 10 ans, se fait plaquer par sa femme et qui, par dépit, demande la garde de cet enfant et l'obtient et, du coup, découvre une nouvelle relation avec son enfant, transforme sa vie puis est frappé par la maladie". Alors, je me suis facilement projeté sur cette histoire sentant qu'il y avait manifestement des équivalences avec ce que je vivais. Non pas que ma femme m'ait plaqué, fort heureusement, non pas non plus que je sois père trop occupé pour bien connaître ses enfants, loin de là, et ma santé et bonne, merci ! mais des points de convergence entre cette histoire et la mienne étaient bien là".
Marie Féret, la fille de René Féret, a été d'une aide précieuse pour le réalisateur lors de la phase de l'écriture du scénario : " Quand j'écrivais le rôle de Léa ( la fille du personnage principal incarné par Jean-François Stévenin) je reconstituais des dialogues, des comportements de Marie, d'après une observation directe. A certains moments de l'écriture, elle apportait à son insu, des séquences entières. Qu'il s'agisse de sa maîtresse d'école, des malaises qu'elle a eus à un moment sur la notion de l'espace, les planètes, la mort etc...ça venait à point, je prenais, je ramassais, je copiais tout simplement, en restituant tout ça dans un synopsis qui n'était pas le nôtre dans la vie, dans l'histoire de ce maître d'oeuvre (...)."
René Féret dévoile les secrets de son travail : " On a tourné beaucoup de séquences à deux caméras. J'ai usé de ce principe et ça m'a beaucoup apporté par rapport à mes habitudes. Sur mes autres films, je travaillais surtout sur des positions fixes ou des travelling. Là, j'avais deux cadreurs, caméra à la main (c'est si facile avec les deux Panasonic 100 que nous utilisions) et l'objectif était d'accompagner les acteurs et de ne rien perdre, sur la base d'une répétition des places, mais quand même une liberté d'action des interprètes. J'apprécie vraiment les deux caméras car ça permet une grande liberté au montage et l'équipe de tournage fait corps avec les acteurs. C'est nouveau pour moi, cette liberté, à condition et ça a été le cas, qu'on ne tombe pas dans trop de mouvements avec des caméras collées au nez des personnages, qui épousent tous les déplacements des acteurs même les plus anodins. Non, on a choisi les actes de déplacement de chaque séquence, avec précision, et la liberté s'est trouvée à l'interieur de ces contraintes. "
Depuis leur rencontre sur le tournage du film Les Frères Gravet, René Féret et Jean-François Stévenin ont toujours entretenu une étroite complicité. Le réalisateur explique : " (...) Quand je lui ai fait lire le scénario, ça lui a plu tout de suite, le rôle, le sujet, l'aventure, le peu de moyens aussi finalement. Il savait que je mettrais toujours tout sur la table et il appérciait ma franchise et mon pragmatisme. Jean-François est très agréable sur un tournage. Il adore ça. Il aime profondément faire le métier d'acteur. Il est enthousiaste, généreux, précis, travailleur, inspiré. On a vraiment bien fonctionné ensemble. On s'est écouté, on s'est entendu au sens propre du terme, même si on était toujours pas d'accord, on savait mettre chacun du sien, " cinquante/cinquante " comme on disait. On négociait. Je souhaitais gommer son jeu. Je voulais qu'il ne fasse rien. Il réduisait de moitié et ça allait. Je le trouve vraiment attachant dans ce film. (...) "
A l'affiche du film, nous retrouvons Salomé Stévenin, la fille aînée de Jean-François Stévenin. Elle donne dans une séquence émouvante et déchirante, la réplique à son père. Le réalisateur se souvient : " J'avais d'abord écrit le rôle pour un garçon. Mais le jour ou j'ai présenté un acteur à Jean-François, il ne l'a pas senti et tout à coup il m'a dit : " Pourquoi pas Salomé ? " et c'est devenu évident puisque le maître d'oeuvre de la réalité avait en fait une fille aînée. Salomé a tout de suite accepté. C'était beau de les voir tous les deux au tournage se préparer à interpréter cette scène, le sérieux avec lequel ils se sont approchés de cette gageure : pleurer en plein dans la caméra pour le père, et pour la fille revevoir cette huile bouillante sur le coeur en l'écoutant parler de son attachement à sa jeune soeur. C'était touchant de voir Salomé, si angoissé à l'idée de décevoir son père, et l'attention de Stèvenin à la réussite émotionelle de la séquence. "
Il n'a pas été facile pour René Féret de diriger sa fille sur le tournage, il explique : " La position de Marie, sur l'interprétation a été différente. C'est une enfant. Elle n'était pas concentrée dans l'approche du jeu. Elle semblait ne pas écouter les indications. Elle n'avait pas de sérieux. Evidemment ce n'était pas rassurant pour Jean-François. Il a adopté une attitude lointaine tout de suite. Il a refusé tout de suite le rôle de papy sympa qui cajole. Pas du tout ça. Il faut dire que la situation était particulière. Marie signifiait bien sur le plateau qu'elle était ma fille et elle tenait à ce " statut ". J'étais son père avant d'être réalisateur. Du coup elle n'hésitait pas à nous couper quand je discutais avec Stevenin de tel ou tel aspect du jeu. C'était énervant pour lui. Et je ne pouvais pas tout à coup m'adresser à Marie comme si elle était une actrice-enfant. C'était elle qui m'avait inspiré le rôle, elle ne pouvait pas se retrouver dans une position contractuelle pour l'interpréter. Ca allait se faire, je le savais quasiment à son insu. Alors tout s'est joué sur cette contradiction. J'ai beaucoup travaillé avec Marie entre les périodes de tournage."
René Féret a choisi de tourner, sans respecter l'ordre chronologique du film: " On a commencé à tourner en été donc la fin du film. C'est là qu'il y a les scènes les plus difficiles pour elle ( Marie). Les pleurs, les angoisses, etc... D'ailleurs on a raté certaines séquences qu'on a retournées ( le bonheur d'être dans une petite économie) ; j'en ai d'ailleurs profité pour changer la fin plusieurs fois, car j'hésitais sur la gravité de son état de santé. Ça c'est un bonheur de pouvoir faire des retakes, après avoir compris ce qu'il ne faut pas faire. C'est un vrai luxe auquel on accède soit en étant très riche, ( comme Woody Allen) soit dans le luxe de la pauvreté, comme nous l'étions. "