Bong Joon-ho garde un pied en Corée du Sud avec Snowpiercer, son premier film doté d’un casting international et tourné majoritairement en langue anglaise. Et comme à son habitude, le réalisateur pond un film coup de poing, qui parvient à se distinguer clairement des autres blockbusters apocalyptiques. Non seulement l’adaptation est une réussite totale, mais le film en lui-même s’avère assez étourdissant, portant comme jamais la marque de son auteur. Ainsi, le film est ce que l'on attendait et même plus, souvent complexe, toujours aussi raffiné derrière sa noirceur et sa violence. Et surtout, il n'est pas tombé dans le piège que l'on craignait tous : le manichéisme. Là où il n’a pas sa place, c’est dans la simple idée que la répartition des voyageurs ne répond à aucune logique mais s’avère complètement arbitraire. Ce qu’il souligne ici, c’est la nature même de l’être humain, capable d’oublier ses idéaux les plus fondamentaux lorsqu’il se retrouve dans une position privilégiée. Un propos hautement misanthrope que construit également le personnage de Curtis, faux leader et véritable être humain en proie à ses failles, se retrouvant dans le final face à une situation morale extrêmement délicate. Par ailleurs, Snowpiercer reste un pur film de son auteur dans le sens où il s’amuse toujours autant à prendre le spectateur à revers, et notamment à travers son sens de l’humour. Il n’hésite pas à déployer des ruptures de ton brutales, joue avec le grotesque alors que le propos général est excessivement grave, créant parfois une sensation de malaise ( la scène de chant à l'école ). En plus d'avoir un récit propre et d'être un fabuleux projet de mise en scène, le film se permet d'être un véritable symbole, symbole purement pessimiste. A l'image de la scène essentielle, où nos héros se battent contre des ennemis masques, qui doivent utiliser le feu comme moyen de survie et de combattre. Snowpiercer prône, de façon diablement pessimiste, un retour aux origines pour balayer la folie des hommes et reconstruire le monde. Dans cette optique, il n’est pas surprenant de voir dans la séquence finale non pas tant un rappel de la rencontre avec le créateur de la trilogie Matrix mais plus une variation autour de la dynamique mise en place dans 2001, l’odyssée de l’espace, qui reposait sur la valeur cyclique de l’humanité. Ce que propose Boon Joon-ho est donc assez immense, misant quasiment l'intégralité du film sur une approche intellectuelle basée sur une confiance totale en l’intelligence du public. De plus, il parvient à réussir un sacré challenge : parvenir à transposer à l’écran un univers clos et restreint, nécessitant une compréhension de l’espace de chaque instant, et le réalisateur le fait à merveille. Ponctué de séquences d’une violence inouïe (la longue baston du wagon-sauna est terrible), d’une succession de symboles toujours forts et faisant corps avec le propos, Snowpiercer est une œuvre désespérée, comme le sont les révolutions, qui n’oublie jamais que la révolte se fait dans le sang et n’est qu’un écran de fumée pour le peuple manipulable, les héros n’étant que les pantins du pouvoir. On a affaire à une grammaire cinématographique complexe, portée par un ensemble d'acteurs impressionnant , qu’il s’agisse de l’outrance de Tilda Swinton, de la sobriété massive de Chris Evans ou de la folie de Song Kang-ho. Et bien évidemment, les effets numériques de l'extérieur du train sont à tomber par terre. Ainsi, malgré certes quelques incohérences, peut-être même quelques lenteurs, Snowpiercer est une oeuvre assez bouleversante, une odyssée sombre et tragique, portée par l'énergie de du désespoir.