Quand il présentait son émission sur The Paramount Comedy Channel à la fin des années 90, Sacha Baron Cohen campait trois personnages : le rappeur blanc Ali G, le journaliste kazakh Borat Sagdiyev, et le roi de la mode autrichien et homo Brüno. Comme ses deux acolytes avant lui, ce dernier a le droit à son tour à son long métrage, fort du succès mondial de "Borat". Hier, Libération faisait sa une de l'événement, saluant le nouveau Zelig qui "rejoue l'infamie moyenâgeuse, mais cette fois en diffusion planétaire, avec MySpace et Twitter en catalyseurs".
Commençons donc par Zelig. On sait que Sacha Baron Cohen ne donne aucune interview sous son identité propre, et qu'il fait vivre son personnage avant et après le film, comme lors du MTV Movie Awards où un Brüno angélique a déposé ses parties génitales sur le nez d'Eminem, peu connu pour son homophilie, ou dans le même Libération, où il remarque que "Sarkozy, ce serait mieux s'il était avec ein mannequin plus petit que lui, parce qu'en ce moment, on dirait qu'il sort avec un transexuel opéré".
A l'écran, le trublion anglais donne autant de sa personne que pour "Borat", voir plus. Casque blond, corps épilé au laser avec le fameux ticket de métro, il ne nous cache aucune des parties de son anatomie ni de ses pratiques ancilaires particulières avec Diesel, son domestique philippin. Il ne craint pas d'aller au combat, que ce soit dans Mea Sharim où il exhibe une tenue mi-cuir, mi-loubavitch qui n'est pas du goût des religieux orthodoxes, ou dans un match de catch au corps à corps avec Lutz son assistant devant un public de l'Arkansas où pourtant, "on n'est pas des pédés".
Pour l'infamie moyenâgeuse, on est servi, avec pêle-mêle une interview de Paula Abdul qui nous parle de son engagement caritatif assise sur un ouvrier mexicain remplaçant le mobilier qui n'a pas été livré, les conseils d'un pasteur gay converter (déjà vu dans son émission, cette fois c'était le Pasteur Quinn),
Reste que l'objet qui nous est présenté nous est vendu comme un film, alors que plus encore que "Borat", il s'agit d'une succession de sketchs inégaux, avec comme seul lien "puisque je ne peux être célèbre en Californie en interviewant Harrisson Ford, je vais l'être en Cisjordanie en confondant Hamas et Hoummous". Le fil est encore plus décousu, et on retrouve le carbone du scénario de "Borat" : un mélange de happenings visant à susciter les réactions des personnes qui y assistent, d'entrevues piégées avec des spécialistes (ici, outre le convertisseur d'homosexuels, deux jumelles dont le créneau est l'engagement caritatif des stars) et d'immersions dans l'Amérique profonde post-Bush.
On ressent plus encore que dans "Borat" le doute, voire la gêne devant l'absence de clarté sur ce qui est en camera caché et ce qui est arrangé avec des figurants (le casting de bébés, par exemple), et le talk-show où Brüno exhibe le gamin qu'il a acheté en Afrique devant un public à 90 % "afro-américain" suscite des spectateurs des réactions que le réalisateur veut faire paraître naïves, mais qui ne sont que des évidences au-delà du décorum propre au genre. Comme dans le précédent, on se demande en ne se voyant pas rire devant un rameur d'appartement équipé d'un gode ou une séance de fouettage par une échangiste S.M. si on est coincé ou si simplement ce n'est pas drôle.
Il y a quand même et heureusement des sketchs plus réussis que ceux-là, comme l'interview du candidat républicain Ron Paul ou le clip final avec Elton John, Sting et Bono complices de l'apôtre de la paix, et aussi ces remarques savoureuses, comme la définition de l'idéal autrichien ("avoir un emploi, trouver une cave et y construire une famille") ou le regret que pour la deuxième fois en un siècle, le monde ignore un talent autrichien.
Moins construit que "Borat", forcément moins surprenant du fait de la volonté manifeste des auteurs d'en reprendre les recettes, "Brüno" me laisse sur ma faim, avec l'impression que le déficit en drôlerie a été compensé par une surenchère dans le trash, rendant à l'avance les critiques réac ou out, pour reprendre la conception manichéenne du monde du roi de la mode viennois.
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