Pour son premier film, Danny Boyle a su marquer le public pour son esprit pervers avec ce petit film, surprenant à bien des égards. Car, soyons clair, "Petits meurtres entre amis" n’a rien de particulièrement révolutionnaire sur le plan formel, ce qui ne manquera pas de dérouter les fans du réalisateur qui, dès son second film ("Trainspotting") a su faire montre d’une inventivité et d’une puissante visuelle hors du commun qui ne l’a pas quitté depuis. L’intérêt de ce premier film est ailleurs, Boyle s’intéressant, en premier lieu, à ses personnages et à l’effet destructeur qu’un événement inattendu
(la mort accidentelle de leur nouveau colocataire et la découverte d’une valise pleine de billets dans sa chambre)
va engendrer sur leur relation. Ce n’est pas par hasard si ces personnages (un comptable, un journaliste, une médecin) ne sont pas des marginaux mais, au contraire, de parfaites représentations d’accomplissement personnel et professionnel, auquel Boyle ajoute un petit supplément d’âme à travers leur quotidien plutôt fun. Leur amitié (et, plus généralement l’alchimie) entre ces trois personnages les rendent immédiatement sympathiques (voir les entretiens qu’ils font passer pour trouver le colocataire idéal ou leur inconséquence). Boyle va se faire un malin plaisir de détruire ce portrait idéal et faisant ressortir le pire de chacun de ses trois héros
(la névrose de David, les magouilles d’Alex, la manipulation de Juliet)
, en égratignant, au passage, la belle façade qu’il avait lui-même façonné…
jusqu’à l’implacable conclusion !
Le scénario est, donc, plutôt nihiliste
(les trahisons sont légions, tout comme l’absence de considération pour la vie humaine face à l’argent)
mais s’avère, malgré tout, insuffisamment exploité à mon sens. En effet, après un démarrage en trombe, le film perd rapidement en rythme sans, pour autant, gagner suffisamment en intensité. Certes, le trio va aller de plus en plus loin et la situation va devenir de plus en plus intenable,
transformant même radicalement David en tueur déshumanisé
. Mais, et ça parait aujourd’hui difficilement compréhensible, la mise en scène de Boyle n’appuie pas suffisamment ses effets, privilégiant une approche presque naturaliste (teinté d'une pointe de suspense à la Hitchcock) plutôt qu’une vision plus stylisée (auquel il nous a habitué depuis). Ce parti-pris (sans doute imposé par le budget serré d’un premier film) donne un certain cachet à ce "Petits meurtres entre amis" mais l’empêche d’être considère autrement que comme un (bon) "petit film". Sa construction m’a, également paru manquer de consistance, l’histoire apparaissant, au final, assez simple et manquant de twists surprenants dès lors qu’il est acquis pour le spectateur
que l’argent va faire tourner la tête du trio et que des tueurs sont à leurs trousses
. Une écriture plus dense au niveau des personnages n’aurait, du reste, pas forcément été de trop, ne serait-ce que pour mieux saisir leurs motivations et expliquer leur évolution.
On comprend bien, après coup, que la dégradation de leur relation était en germe avant la mort du colocataire (David est psychorigide, Alex est un beau parleur, Juliet est cachotière) mais un peu plus de d’attention aux non-dits entre le trio vedette aurait peut-être été appréciable
. Ces précisions étant faites, je me rends compte que je suis beaucoup trop exigeant, aujourd’hui, avec ce film, qui n’avait aucunement l’ambition de casser la baraque au box-office, ni même d’éblouir le public. Si on le juge comme un premier film, il faut reconnaître qu’il laisse entrevoir d’intéressantes qualités et un certain goût pour les personnages atypiques (ce que "Trainspotting" viendra largement confirmer et même transcendé). Et, surtout, "Petits meurtres entre amis" peut compter sur un excellent casting, avec un Christopher Eccleston flippant, une Kerry Fox insaisissable et, surtout, un Ewan McGregor incroyable de présence et de charisme. Cette pépinière de talent et la (raisonnable) noirceur du sujet mérite le coup d’œil, ne serait-ce que par nostalgie (le film ayant fait grand bruit lors de sa sortie)… mais ne restera que le coup d’essai qui précédera le coup d’éclat de son réalisateur.