Le mandat n'est pas seulement un grand film par son histoire, l'un des premiers en Afrique par un africain dans une langue africaine. Rien que pour cela, il mérite notre intérêt. Mais il l'est aussi par son propos et le regard critique et bienveillant qu'il porte sur son pays, à l'époque tout juste indépendant et encore en train de se chercher. En réalité, le film garde toute son actualité aujourd'hui. Peu de choses en changer à mon sens dans le rapport des Sénégalais à leur administration. Pas de jugement de valeur. L'ancien colonisateur a une indéniable part de responsabilité et la mise en scène d'un homme complètement perdu dans son propre pays en est la preuve éclatante, à commencer parce qu'il parle une langue dans laquelle il ne peut faire aucune démarche.
Au delà de la découverte d'un pays, de ses ruelles, de ses scènes de la vie quotidienne, de personnages qui n'avaient jusqu'alors quasiment jamais été filmées, de son administration, le film tient beaucoup au scénario. En racontant l'histoire d'un homme qui reçoit un mandat pour retirer de l'argent, Sembène place son homme d'une soixantaine d'années, croyant fidèle et intégré dans la société, dans un monde kafkaïen qui le dépasse complètement. Et pour cause, il n'a pas de papier d'identité et récupérer son argent devient une quête existentielle, qui ira jusqu'à lui faire perdre la foi en l'humanité. Le film est tout à la fois comique, cruel et attendrissant. Le personnage principal gagne notre sympathie par sa bonhomie, son rapport aux autres, et la déchéance qui le menace et contre laquelle il ne peut lutter. Bien sûr, il a sa part de responsabilité, mais pas éduqué, il est dépassé, contrairement à tous les roublards qui tournent autour de lui et ne souhaitent qu'une chose, lui soutirer de l'argent. Il se retrouve isolé, pris au piège par la société, son entourage et l'Etat lointain et inaccessible. Le sort s'acharne, on en sort sonné pour lui.
Le film vaut aussi pour ses vues des rues de Dakar, le parfum d'une époque, la vie quotidienne montrée avec beaucoup d'acuité, le portrait qu'il donne du peuple Dakarois, si rarement porté à l'écran.