L’ascension et la chute
L’Iris de Questembert a eu la formidable idée de proposer à la programmation (en 35 mm s’il vous plaît) ce petit bijou de noirceur de Robert Wise. Un requiem pour le film noir, avant de passer à autre chose, West Side Story par exemple.
Dehors il fait froid et les rues de New York sont venteuses. Dans le cœur de nos protagonistes, c’est un peu pareil vu qu’ils sont déjà morts. Un ancien flic viré, un crooner de cabaret fauché et un bandit vétéran d’on ne sait quelle guerre s’associent dans l’organisation du casse d’une banque. Bien sûr, c’est l’histoire d‘une fois, un one shot pour résoudre tous les problèmes des uns et des autres. Et bien sûr, ça ne va pas bien se passer.
Le principe du bon film de braquage n’est pas tant de montrer le casse lui-même que les problèmes qui l’ont causé ou qu’il va entraîner. Le principe du polar noir, c’est qu’on n’échappe pas à son destin, surtout si celui-ci mène au cimetière. Ainsi, ce qui compte, c’est moins l’action que la psychologie des protagonistes. Nous tenons là une histoire d’hommes. Voici trois types qui se démènent à vouloir compter. L’un vit avec son chien dans son hôtel miteux. L’autre, abonné aux dettes de jeux, regrette l’absence de son ex-femme qui le méprise. Le troisième n’admet pas que sa nana rapporte l’argent du foyer quand lui ne réussi jamais rien. Or on le sait, la frustration rend con, surtout si on est un homme. Le désir d’ascension sociale de chacun des trois va les mener dans le mur car le crime ne paie pas et surtout car c’était écrit. On ne peut pas réussir quand on s’en croit pas capable. Autour de ces mâles, des femmes émancipées, souvent victimes des névroses de ces messieurs et pourtant compatissantes. Ce vide en eux est à l’image de tous ces plans figés d’une ville creuse, d’un ciel menaçant et d’une eau qui ne sait pas où elle va. C’est sûrement la plus grande force visuelle de ce film de Wise. Il utilise une pellicule infrarouge qui relève tous les contrastes et donne aux plans nocturnes un relief nouveau. A de multiples égards, on pense au meilleur de Michael Mann (Heat et Le Solitaire entre autres), tant à l’image qu’au procédé narratif. Bref, c’est beau. A l’interprétation, c’est nickel. On aimera en particulier la partition d’un Harry Bellafonte qu’on ne savait pas si bon. A ce titre, les scènes chantées au bar sont proprement sublimes (la lumière, le dialogue en champ-contrechamp, l’intervention déglinguée …). Si le suspens final n’est pas forcément à la hauteur, ça compte peu au regard de ces magnifiques portrait d’hommes … et de femmes. A voir et revoir, cette scène de séduction fiévreuse entre le personnage de Slater et la voisine. Électrisant. Pour un chant du cygne, le film noir sème les graines qui feront renaître le genre encore et encore dans les décennies à venir.