L’adaptation de « Le soldatesse » (Des filles pour l’armée) de Gilo Pontecorvo et Franco Solinas fut refusée par le producteur Moris Ergas qui demanda à Zurlini de reprendre et de corriger un nouveau scénario écrit par Leonardo Benvenuti et Piero De Bernardi. Dès le texte du début et la première scène en voix off le retour de l’armée italienne en 1942, encadrée par les allemands, après la déculottée que les grecs leur ont infligée est parfaitement décrit, se terminant sur un plan stupéfiant de soldats allemands découvrant l’Acropole. C’est dans une Grèce poussée dans la famine et le désespoir par des italiens revanchards que se situe l’action du film, monté comme un road movie. Il renferme également les péripéties du western, avec le camion en guise de caravane, les partisans dans le rôle des indiens et les fascistes dans celui de l’US Cavalery sanguinaire. Ainsi les exactions de l’armée italienne en général et des chemises noires en particulier sont montrées sans fard et sans l’excuse du « c’était pas nous, c’était les allemands ». Si l’engagement anti mussolinien est clair (un guerre inutile, pour plaire à Hitler dans un concours de taille de zigounette pathétique et sanguinaire) l’essentiel du film se situe pourtant dans un engagement féministe puissant en faisant évoluer dans ces conditions extrêmes un convoi de douze prostituées, livrées deux par deux dans les bordels des différents régiments. Conduit par un sergent sympathique et bourru sous les ordres d’un lieutenant (Tomas Milian) d’abord désabusé et ennuyé, mais très vite touché par ses femmes qui se prostituent pour manger. Les deux tomberont même amoureux, chacun d’une de ces filles, que Zurlini dépeint avec une dignité qui force le respect, évitant le voyeurisme pour s’attacher à l’aspect humain, sans jamais tomber dans le lacrymal facile. Le réalisateur atteint souvent la grandeur de Mizogushi dans un des chef d’œuvres du cinéma japonais : « Rue de la honte» (Akasasen hital) sorti en 1956. Non content de filmer la bouleversante Anna Karina dans une ascension lumineuse qu’elle n’égalera plus jamais (même pas dans « Pierrot le fou » de Godard, alors son époux, ni davantage dans « La religieuse » de Jacques Rivette), il offre de plus à Marie Laforêt son plus grand rôle au cinéma. Prouvant s’il en était besoin, que la direction d’acteur de Zurlini n’est pas une légende. Il dénonce aussi à l’occasion la marchandisation du corps de la femme dans les sociétés patriarcales, passant néanmoins sous silence les viols collectifs de villageoises forcées de céder à l’occupant (pratique millénaire), se contentant de montrer des prostituées traitées comme du bétail. « Le Soldatesse » est un chef d’œuvre, mais qui ne connut pas le succès escompté, pour trois raisons. La première tient à une critique anti fasciste moins virulente que dans le reste du cinéma italien de la fin des années soixante au milieu des années soixante dix. La seconde tient au fait qu’il montre, comme dans aucun autre film, les exactions commises par l’armée italienne à une population qui s’en est dédouanée en chargeant totalement les allemands. La troisième est de réaliser un film résolument féministe dans une Italie encore très machiste et très conservatrice quant au patriarcat. Jalon important qui ouvrira la voie à des réalisateurs comme Pasolini, « La Soldatesse », chef d’œuvre injustement oublié, est un film indispensable. La version restaurée (superbe travail) comprend 120 minutes, proche des 135 de l’original.