Fernando Rey, Vittorio Gassmann, Jacques Perrin, Max von Sydow... Un casting très international qui ne laisse pas deviner ce qu'il va se produire en Iran, où l'on utilise pour décor une vraie forteresse détruite en 2003 par un séisme. L'illusion d'une guerre est magique, et d'autant plus surnaturelle que le paysage est purement magnifique, et que l'endroit comme l'époque sont tenus secrets à travers les noms des personnages, encore plus cosmopolites d'apparence que ceux des acteurs.
Cette ambiance est tellement magique, en fait, qu'on ne sait plus si on regarde Fort Saganne ou Dune. La confusion est grave, mais l'est-elle tant que ça lorsqu'on sait que "Tartare" et "Tatare" peuvent être synonymes ? Cette ambiguïté a fait naître des fantasmes sur des traductions prétendument fausses du titre, parce qu'il aurait perdu un R au passage. Mais c'est toute la beauté de la double lecture possible du film : une histoire où l'Autriche-Hongrie serait aux prises avec un ennemi disséminé dans le désert ? Pourquoi pas. Une idée plus ésotérique du scénario ? Libre au spectateur de substituer l'enfer grec à une armée turque.
Ne cherchant pas vraiment à remplir le temps, la création de Zurlini mâchonne les mêmes salamalecs un peu longtemps : la politesse quasi-médiévale qui s'installe entre ses soldats (où d'ailleurs la proportion d'officiers semble démesurée) ne sert qu'à impressionner de la vitesse à laquelle peuvent passer deux heures monotones. Quant à la folie latente qui s'installe pernicieusement sous le déguisement de gradés cachottiers, elle ne va pas bien plus loin que de faire grisonner les têtes.
Tant qu'à montrer l'écoulement du temps, on préférera la hiérarchie qui glisse naturellement et fait évoluer les mentalités, creusant un peu plus l'étonnement causé par cette guerre qui n'en finit pas d'être absente et de pourtant déterminer le destin des militaires. Est-ce normal que Le Désert des Tartares m'évoque à la fois des films si nombreux et éloignés dans leur style ? Fort Saganne et Dune pour le décor, le segment Le Radeau de Creepshow 2 pour les émotions, Star Trek pour la hiérarchie, Star Wars pour l'ambiance... Si c'est là ce que voulait faire Zurlini avec cette œuvre qui est pourtant assez banale dans son traitement, c'est très fort.
Tout ça en tenant à réfuter les codes du giallo, ne touchant à la mort que dans la nécessité (la chasse, l'indiscipline) et tenant à nous titiller en ne montrant jamais ce qui se cache derrière les murs de Bastiano, cette forteresse dont un officier réalise après 18 ans "qu'elle est plus belle de l'intérieur que de l'extérieur". Comme si elle était La Grande Muraille (qui a fait l'objet d'un film de guerre autrement plus nul), sauf que le combat qui la motive n'en est qu'à ses préparatifs, même à la toute fin, tant et si bien qu'on a l'impression de devoir le vivre en vrai une fois le générique terminé.
Le Désert des Tartares n'en a absolument pas les airs, mais il est presque terrifiant. En quelques images et des propos tenant un peu de la SF rétro (atmosphère qu'on retrouve dans un autre film de von Sydow, New York ne répond plus), il dépasse les genres et offre l'expérience rare de faire perdre pied au cinéphile.
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