La Fabrique des sentiments a été sélectionné à la Berlinale 2008, dans le cadre de la section Panorama.
La Fabrique des sentiments est le deuxième long métrage de Jean-Marc Moutout après le très remarqué Violence des échanges en milieu tempéré. Dans ce premier opus, il s'intéressait au monde des consultants en entreprise. Il poursuit donc sa réflexion sur les sociétés modernes, en s'intéressant cette fois à la solitude et aux nouveaux modes de rencontre. Il précise ses intentions : "Je suis parti d'un personnage d'aujourd'hui : une fille indépendante, intelligente, éduquée et... seule. Je pouvais à partir d'elle questionner notre époque. On est dépendant de notre société, celle-ci nous fabrique, comme en témoigne la discussion explicite lors du premier dîner, qui rejoint des thématiques proches de Violence des échanges en milieu tempéré. La solitude contemporaine est le contrecoup de la liberté, de l'individualité. Mais je ne voulais pas tant partir d'une question purement sociale que me confronter au féminin."
Jean-Marc Moutout explique pourquoi il s'est intéressé au phénomène du speed dating : "Il me semble être symptomatique de notre fonctionnement aujourd'hui, comme un aboutissement. Dans un monde régi par les valeurs marchandes, et où il n'y a jamais eu autant de gens seuls, à tous âges, il était logique d'en arriver à organiser des rencontres payantes, plus ou moins filtrées. A sa manière, le speed dating est un CV, comme je m'amuse à l'exprimer dans le rêve d'Eloïse. On y utilise les mêmes armes et le même langage que dans les autres situations sociales. C'est rapide et ludique. On se valorise, on s'exhibe en toute sécurité, pour mieux camoufler ses défaillances. Mais le speed dating a beau quadriller les rencontres, il y a une chose qu'on n'apprend pas : séduire, aller vers l'autre."
Alors que le personnage central de Violence des échanges en milieu tempéré était un jeune homme (incarné par Jérémie Renier), La Fabrique des sentiements brosse le portrait d'une femme. Jean-Marc Moutout confie avoir été influencé par le film Safe de Todd Haynes avec Julianne Moore, "c'est le portrait critique d'une femme, ce qui n'empêche pas que l'on soit complètement avec elle.
Dans le cadre de la préparation du film, Elsa Zylberstein a tenu à se rendre à des speed datings. "Il fallait que moi, Elsa, je voie comment je me sentais physiquement, mentalement, socialementpour pouvoir le retranscrire après : j'avais chaud, j'étais mal à l'aise", explique l'actrice, qui note : "C'est un numéro de charme à tout prix, on essaye de se montrer sous son meilleur jour, on sourit, on en fait trop, on parle vite, on est timide, maladroit. On ne veut pas décevoir, en même temps on peut lancer des piques. L'ambiance est à la fois feutrée et très brutale." D'autre part, comme elle incarne une clerc de notaire, la comédienne a suivi une notaire dans ses journées de travail pendant un mois et demi.
Elsa Zylberstein donne son point de vue sur le speed dating : "Ce qui est fascinant dans ces lieux, c'est que les gens pensent qu'ils peuvent se correspondre parce qu'ils aiment les sorties, la montagne, faire la cuisine... En dix minutes, ils passent de "J'aime les pommes de terres chaudes" à "Est-ce que tu veux des enfants ?". Ils quantifient l'amour (...) Alors que tous les grands romans d'amour, Balzac, Henry James, Albert Cohen... montrent combien l'amour est fragile et mystérieux, combien c'est immatériel de tomber amoureux... En même temps, je crois que ce n'est pas un hasard si quelqu'un nous plaît. On est conditionné pour être attiré par tel homme, telle qualité. On n'est jamais vraiment libre dans les choix que l'on fait, d'où une certaineefficacité du speed dating, qui repose sur la dimension prévisible de nos attirances."
Avant La Fabrique des sentiments, on a déjà pu voir des séquences de speed dating (sur un mode plus comique) dans Je préfère qu'on reste amis... et Célibataires.
Pour Elsa Zylberstein et ses deux principaux partenaires masculins, ce n'est pas tout à fait un premier rendez-vous... La comédienne figure en effet au générique de deux films de René Féret dans lesquels on retrouve également Jacques Bonnaffé (acteur-fétiche du cinéaste) : Baptême et La Place d'un autre. Quant à Bruno Putzulu, elle a pu le croiser sur le tournage de Monsieur N. d'Antoine de Caunes. Ajoutons que Zylberstein et Putzulu faisaient tous deux partie des Français engagés par James Ivory pour son Jefferson à Paris.
Comme pour Violence des échanges en milieu tempéré, Jean-Marc Moutout a confié l'écriture de la bande originale du film à Silvain Vanot. Apparu à la même époque que Dominique A ou Miossec, ce chanteur a enregistré, plus discrètement, une poignée d'albums hors-mode (Sur des arbres, Il fait soleil) mais dans lesquels on peut percevoir l'nfluence de songwriters américains tels que Neil Young ou Bob Dylan.
Pour la phase d'écriture, le cinéaste s'est adjoint les services d'Olivier Gorce, qui avait déjà travaillé sur Violence des échanges en milieu tempéré, mais aussi d' Agnès De Sacy, une scénariste très demandée par les cinéastes de la nouvelle génération. On retrouve en effet son nom au générique des deux premiers longs métrages de Valeria Bruni Tedeschi, Orso Miret et Hélène Angel, ou encore de Mauvaise foi de Roschdy Zem.
Au départ, le cinéaste avait pensé intituler son film Exclusif.