‘’Les pires créatures ne sont pas celles que l’on croit’’. Entre deux phrases d’accroche mensongères, il arrive parfois aux jaquettes de DVD de dire des choses vraies et même de percevoir les enjeux principaux d’une œuvre. Ainsi cette phrase résume bien ce qu’est ‘’The Mist’’. Sorti en 2007, ‘’The Mist’’ est réalisé par Le spécialiste des adaptations de Stephen King au cinéma : Frank Darabont. Déjà metteur en scène de deux des plus fameuses adaptations du maître de l’horreur, ‘’Les évadés’’ (1994) et ‘’La ligne verte’’ (1999), Darabont va une nouvelle fois superbement s’illustrer en réalisant un des meilleurs films d’épouvante de ce début de XXI ème siècle. Et ce malgré un certain nombre de défauts qu’il ne faut pas négliger.
Au lendemain d’une très violente tempête, David Drayton et son fils Billy se rendent dans un supermarché. C’est alors qu’une secousse a lieu et qu’une mystérieuse brume entoure le supermarché. Barricadé à l’intérieur, les clients vont tant bien que mal devoir cohabiter ensemble car à l’extérieur, d’étranges créatures peuplent cette brume.
La première chose qu’on a spontanément envie de découvrir avec ‘’The Mist’’, ceux sont bien sûr ses monstres. Qui dit film de monstres dit risque de complètement foirer la représentation de ces derniers. Qu’en est-il donc du bestiaire apparu dans le film ? Et bien le résultat est mitigé. Si on salut d’une part la richesse et la diversité des créatures (qui vont des insectes aux créatures plus lovecraftienne avec tentacules et compagnie) et d’autre part la qualité des effets spéciaux qui sont convaincants quand on voit le (modeste) budget du film (18 millions de dollars pour un film de monstres ? C’est négligeable aujourd’hui à Holywood). Mais justement, la terreur ressenti devant le film aurait pu être accru si Darabont avait davantage jouer sur la dissimulation. Un poncif du cinéma d’horreur est de dire qu’il faut mieux dissimuler que montrer. Le danger, c’est de vouloir trop dissimuler, trop cacher la menace (n’est-ce pas ‘’Projet Blair Witch’’?). Mais ‘’The Mist’’ offrait pourtant une excuse toute faite pour cacher : le brouillard tout simplement. Et les créatures, aussi réussies soient-elles (effets spéciaux de Café FX, capable du meilleur avec ‘’Le labyrinthe de Pan’’ comme du pire avec ‘’Dragon Ball : Evolution’’) sont franchement flippantes et intrigantes quand on ne voit que leurs silhouettes et leurs découpes (comme ce monstre avec des pinces ou encore ce presque majestueux béhémoth en fin de film). Décevant aussi est l’origine des créatures. Il est vrai que cette déception était prévisible et quasi inévitable : l’origine de monstres mystérieux est toujours dans les films discutable. Ça ne rate pas ici : les monstres sont issus de dimensions parallèles et ont été libéré par l’armée et les scientifiques. Cette révélation ne conduit pas à une dénonciation pourtant toute naturelle des dangers de la science forcenée. Mais là n’est pas l’important car Darabont reste fidèle à l’esprit de King. Et King malgré son surnom de maître de l’horreur est davantage intéressé à sonder l’âme et la nature humaine que créer de fascinantes créatures.
A quoi bon dresser un background à de visqueuses créatures quand notre monde est déjà à la base peuplé de véritables monstres ? C’est ce que va vraiment explorer ‘’The Mist’’. Le film décrit donc un groupe de personnes qui se retrouve face d’une très dangereuse menace. Menace capable de venir anéantir le concept même de société. ‘’The Mist’’ pose une question : que se passerait-il si plus rien ne permettait de garantir la sécurité des hommes ? Qu’arriverait-il en effet si la société n’était plus capable de protéger ses sujets et même finissait par s’effondrer ? ‘’The Mist’’ reprend et pose cette question un peu à la manière d’un film catastrophe. Et le constat s’avère être terrifiant (de réalisme?) La fameuse phrase d’ Hobbes (ou de Plaute, au choix) ‘’l’homme est un loup pour l’homme’’ a sans doute dû hanter Stephen King pendant l’écriture et Darabont pendant le tournage. Car une fois ‘’le contrat social’’ rompu, une fois l’homme traqué et acculé, ce dernier retrouve son caractère bestial, monstrueux et est prêt à toutes les pires atrocités. Face à la menace extérieure, le groupe confiné dans le supermarché va se scindé en deux. Le premier camps avec à sa tête le héros est composé des pragmatiques, des réalistes, de ceux qui gardent la tête froides et sont solidaires. Mais ce camps, quoique doué de raison va peu à peu s’amaigrir et se vider de ses membres. Vient alors le deuxième camps guidé par Mme Carmodie (la possédée Marcia Gay Harden). Cette extrémiste religieuse voit les créatures comme une manifestation de la colère divine et de l’arrivée de la fin du monde. ‘’The Mist’’ par le biais de Mme Carmodie et de ses fidèles est une satyre de la religion incroyablement féroce. Refuge pouvant s’avérer dangereux, la religion en prend ici un sacré coup. Darabont met sous les yeux du spectateur ce que ce dernier serait capable de faire s’il est mis en danger. Traqué, acculé, l’homme de ‘’The Mist’’ doit choisir entre garder sa raison ou céder et s’abandonner à la facilité. Ces deux camps, diamétralement opposés dans leur pensée finissent par se confronter. Jusqu’à atteindre un tel degré de sauvagerie que l’homme, animé uniquement par des textes religieux ne vaut finalement pas mieux que les créatures de la brume (qui ne semblent agir que par pur instinct). Ainsi, la sortie finale des héros s’avère doublement habile : d’une part, elle permet de relancer l’action et l’intérêt du spectateur (le huit clos aurait-il pu satisfaire jusqu’à la fin ? Pas sûr…). D’autre part, elle permet de renforcer l’idée de sauvagerie de l’homme. Au début du film, les héros se barricadent à l’intérieur du supermarché pour échapper aux abominables créatures qui peuplent la brume. Et pourtant, ils décident dans le dernier acte du film de quitter le supermarché et tenter de rejoindre un hypothétique territoire sans brume ni monstre. Qu’est-ce qui les poussent à prendre un tel risque et tout miser sur la chance ? On comprend alors que c’est une nouvelle fuite que réalisent nos héros. Une fuite vers des monstres pour en fuir d’autres. Fuyant le supermarché qui n’est désormais peuplé que de vagues restes d’humanité, les héros, rares humains à encore être dotés de raison s’enfoncent dans la brume. Ils fuient vers un inconnu où l’espoir de survie est bien maigre. L’espoir d’ailleurs est au coeur même du film. Ne jamais perdre espoir, ne jamais abandonner, toujours aller de l’avant semblent nous dire Stephen King et Frank Darabont.
Est-ce un hasard si le dernier mot de la nouvelle de King est justement ‘’hope’’ ?
Dans une bonne partie du film, les héros collent à cet espoir de survie et croit en la solidarité sans jamais se réfugier dans un mysticisme nocif et dangereux. Un mysticisme dangereux qui empêche toute forme de cohésion sociale avec le groupe qui entoure le personnage principal.
C’est là qu’on arrive à la fin du film où les rares réalistes du supermarché décident de tenter le coup en s’enfonçant dans la brume. Et c’est là qu’on arrive aussi et surtout au coup de force de Frank Darabont qui a décidé de modifier la fin de la nouvelle de King. Dans son adaptation précédente de Stephen King, ‘’La ligne verte’’, on pourrait regretter que Darabont soit très respectueux du matériaux de base (et donc réalisait un film sans surprise pour ceux qui avaient déjà lus le livre). Ici Darabont parvient (chose rare pour le signaler) à imposer une fin nettement différente à celle de la nouvelle sans pour autant en modifier le sens. Dans la nouvelle, la fin est ouverte et le héros dit à son fils de toujours garder espoir, qu’ils pourront (peut-être) être sauver. Mais la fin de la nouvelle, en plus d’être très ambigu sur le sort des protagonistes est issu du journal où le héros écrit les dernières phrases. Cette fin qui devait beaucoup ) la qualité littéraire de King n’offre en revanche rien de visuellement intéressant. Darabont décide donc de frapper fort en livrant une fin très pessimiste qui vient longtemps marquer les esprits. Darabont du accepter de tourner rapidement le film avec un budget réduit pour filmer cette scène. Dans cette terrible fin, la voiture des cinq survivants tombent en panne. Entendant les cris des monstres se rapprocher, David abat les quatres survivants (dont son fils) afin de les épargner une mort atroce. La scène déjà rude devient atroce quand David se rend compte que les cris entendus étaient les cris de douleur des monstres alors tués par l’armée. Réalisant que ses proches et lui auraient pu être sauvés, David hurle de douleur tandis que l’armée parvient à redresser la situation et que la brume se dissipe. Et le propos de cette scène très ironique (dans ce genre de film, le happy end arrive précisément quand les monstres sont tués) est d’autant plus terrible que l’erreur de David est excusable. L’inconfort de cette scène est totale puisque là où l’esprit du spectateur se tenait à distance des atrocités commises par Carmodie et ses fidèles, cette fois-ci, l’erreur est commise par un être héroïque, qui n’avait rien à se reprocher
. La figure du bon père de famille qui devient un héros explose ici
où l’homme ne parvient pas à protéger son enfant d’une menace qui désormais, a disparu.
L’espoir, s’il est le sentiment que tout homme doit garder au fond est néanmoins extrêmement difficile à conserver.
Et si le héros pensait faire le bien, le mal est fait : en ayant perdu espoir, David aura tué quatre personnes (dont son fils) pour rien.
Une fin choc qui reprend les fins clichés des films catastrophes (
la menace détruite par l’armée ? ‘’Independance Day’’ n’aurait pas fait mieux
) pour mieux les ridiculiser (
le héros aurait sans doute préférer voir surgir de la brume un gros monstre baveux qu’un gros tank
).
L’être auquel on aurait pu s’identifier finit lui aussi par commettre une erreur. Pas une faute, une erreur, qui nous frappe et nous fait poser la question : qu’aurait-on fait à sa place ?
Et des films qui testent à ce point notre résistance à la menace, ça ne court pas les rues.
Jusqu’où l’homme, une fois son petit confort détruit, est-il capable d’aller dans la barbarie ? Comment cette barbarie peut-elle être attisée et exacerbée par de beaux discours servant à manipuler le plus grand nombre ? Et quels sont les limites du courage dont l’homme peut faire preuve ? ‘’The Mist’’ est un film diaboliquement habile car il se sert de nombreux clichés (avec un héros très héroïques et des situations déjà vus) pour mieux les acidifier. Stephen King a dit que ‘’The Mist’’ est l’une des meilleurs adaptations d’une de ses œuvres (il aurait d’ailleurs voulu écrire la fin du film). On ne peut que lui donner raison. A noter que le film existe en deux versions : la version cinéma en couleur et la version ‘’director’s cut’’ en noir et blanc et qui renforce cette atmosphère délétère.