Le scénario doit pouvoir se glisser sous une porte, fait de scènes où il n'est pas utile d'en dire beaucoup pour aller au fond des choses. Freddy, personnage central de l'histoire est un dur à cuire, il se promène torse nu, tombe de sa mobylette sans avoir mal et possède, au sens littéral du terme, une fille qui se donne à lui sans compter. Le personnage est un taiseux aux épaules rentrées, lointain descendant de John Garfield, incarné par un non-acteur aussi puissant que le fut Pierre Blaise dans Lacombe Lucien, avec une expression Bronsonnienne dans le regard. La vie de Jésus, c'est la sienne, entouré de ses copains qui le suivent comme des apôtres lors de virées sans but, sinon celui d'exister au sein de leur territoire qu'ils délimitent tout au long du film juchés sur leurs mobylettes, comme les seigneurs du moyen âge parcourraient leur terre sur leur monture. Le film évite tous les écueils de la chronique sociale plombée par le chômage et la délinquance, tant le sujet se situe bien au delà. Les personnages ignorent autant la misère que la richesse, ils sont étrangers à toute forme d'ambition sociale et même à l'existence d'un ailleurs. Dumont, à travers sa chronique du territoire, laisse émerger tout ce qu'il y a de mythologique chez ces gens d'ici, produits de leur culture et de leur mode de vie, singuliers dans une physionomie qui, à elle-seule, pulvérise tous les formatages physiques du cinéma mondialisé. Car le film est aussi, et peut-être avant tout, un manifeste pour l'existence des particularités. Elles sont culturelles, sociales, physiques, architecturales, climatiques mais aussi langagières. On ne comprend pas certaines expressions si on est étranger au lexique des gens du Nord, et Dumont, bien entendu, n'appose aucun sous-titre. Dumont est aussi un des rares cinéastes d'aujourd'hui à s'intéresser aux lieux, qu'il filme merveilleusement, certains plans éloignés des personnages sur une colline ayant des accents fordiens. Un cinéaste qui aime ses extérieurs autant que ses personnages, tout naturellement parce que les êtres et les éléments ne font qu'un, ce qui leur donne une dimension biblique et les ancre dans le réel. Dumont nous montre leur racine, et de là leur "Humanité" selon le titre d'un autre de ses plus beaux films. La vie de Jésus est aussi un film de résistance à la norme culturelle internationale, ce qui le rend particulièrement précieux.