L'histoire du cinéma est faite de ces cinéastes ponctuels, émergés d'une masse de réalisateurs dont l'importance n'équivaut pas la valeur. Victor Travis, avec «Dans les rues» (France, 1933), réalise une oeuvre, tombé aujourd'hui dans l'oubli. Or la force du film, ses emprunts formels à des cinéastes aussi variés qu'Eisenstein, Grémillon et Stroheim aboutissent à une réalisation à la carnation passionnante. Avant Carné, et à la même époque qu'Epstein, Travis met en scène une bande de jeunes dont l'énergie permet mettre sur pied des casses et des vols. Cette volonté inextinguible d'ébranler le monde de sa fougue donne à «Dans les rues» une allure de révolte, un air de marche révolutionnaire. Le tourbillon formel et vif saisit les corps frêles des acteurs méconnus (Madeleine Ozeray, Lucien Paris, Jean-Pierre Aumont dans un de ses premiers rôles) pour les projeter dans l'époque tourmenté qui encadre la production du film. Le personnage central de Rosalie, partagé entre un amour pour un délinquant et un fils de bonne famille, sert de point de repère dans la tourmente du récit. Pourtant, Travis, auteur de l'adaptation scénaristique du roman de Joseph Henri, réussit à conférer pleinement à chacun des personnages une empreinte singulière. Le petit Moustique, à l'allure de Gavroche, exprime avec ardeur une maigre jeunesse dynamique. La piètre valeur des copies restantes confère au film une tonalité médiocre, une imperfection fondamentale qui ne nourrit que mieux l'esthétique d'une plastique spectrale, au ton aussi brumeux que les voiles fantomatiques des films mystiques d'Epstein. Cette dimension sépulcrale qu'émanent les scories de l'image entremêlent les multiples sources esthétiques de la réalisation en un tissu exaltant qui, alors que nous sommes dans un film parlant, réveille le temps d'une révolution les chimères du muet. Trivas, auteur seulement de cinq métrages, apparaît, à travers «Dans les rues» comme un bref auteur, sensible spectateur de son époque.