Les personnages sont des asphyxiées sociaux, des infirmes du cur, des amputés du verbe, écrasés par le poids des déterminismes familiaux, impuissants à comprendre et à anticiper les dérèglements quils induisent. Leur seul défense : mutisme assourdissant et aboulie forcenée, doù naît un malaise profond, et quelques fois lempathie du spectateur, auquel on donne à saisir doù provient tout cela, par le truchement dun montage souvent signifiant, amalgamant avec rigueur et finesse les temporalités (dans Home, le second segment, passé et présent se répondent et finissent par se confondre, les sourdes tragédies familiales de lenfance étant maintenant reproduites, mais démultipliées jusquà lhorreur, inévitable, prévisible, annoncée).
Lorsque tout est en place, que le spectateur a pu prendre acte des éléments contextuels disséminés dans le cadre et les silences, les personnages peuvent alors basculer de lanonymat dune vie pavillonnaire stérile et morne vers lhorreur absolue, mécanique, clinique ; exutoire sanglant de toutes les frustrations accumulées jusque-là. Il sagit de malmener un corps nié, tabouisé : morale rigoriste héritée de lenfance, affaissement du désir depuis trop longtemps, transparence de lautre qui pour être à nouveau vu, doit précisément devenir irregardable ; ici plus quailleurs, « le temps détruit tout », pour citer Gaspar Noé, qui naura pas manqué dadouber Douglas Buck dont la filiation avec le réalisateur dIrréversible est permise. Les corps nont dautres alternatives que leur propre mutilation pour exister une dernière fois. On se fouette, on sautomutile, pour se punir bien sûr, pour être certain dêtre encore vivant et sensible également, à la manière du pincement quon sinflige pour faire fuir le mauvais rêve.