Après l'oscarisé Les Triplettes de Belleville, où les personnages visionnaient déjà un extrait de Jour de fête dans leur lit, le réalisateur Sylvain Chomet continue son histoire d'amour avec l'iconique Jacques Tati en adaptant un script de trente pages écrit par Tati lui-même. Grâce au financement de Pathé, et sous l'impulsion de Sophie Tatischeff, récemment décédée, et à qui le film est dédié, Sylvain Chomet a donc su mettre sur pied ce qui se présente avant tout comme une entreprise originale: un film d'animation traversé de réminiscences du cinéma de Tati.
L'histoire est simple: un prestidigitateur vieillissant rencontre une jeune fille qui gagne sa vie à passer la serpillière dans une auberge. L'un se rapproche de la fin de son parcours, l'autre a tout l'avenir devant elle. L'un se contente modestement d'un salaire fixe qui lui permette de vivre, l'autre cède aux diktats de la société de consommation et fantasme sans répit sur une nouvelle paire de souliers, une nouvelle veste, une nouvelle robe. Rencontre belle, rencontre improbable.
Le presdigitateur énigmatique et élégant, éternellement accompagné de son acolyte le lapin, est à lui-même, il faut le dire, l'un des derniers vestiges d'un monde en déclin: celui du music-hall. Tandis que lui, le prestidigateur, procède sans broncher aux quelques tours de magie de son répertoire respectable mais limité devant un public très restreint (une grand-mère et un enfant, chewing-gum au bec); les autres représentants de ce monde périmé peinent à s'intégrer au sein d'une société en constante mutation: un clown tente de se suicider, un ventriloque se retrouve à mendier dans la rue, des acrobates mettent leurs pirouettes au service d'une agence de pub. Car le temps passe, il faut bien s'en rendre compte: la technique fait constamment de nouveaux progrès - des plans larges particulièrement magnifiques nous présentent Paris puis Édimbourg comme des métropoles soucieuses de modernisation, traversées de lignes de chemins de fer et d'automobiles de plus en plus sophistiquées; les vieilleries du music-hall (magiciens, ventriloques, acrobates et clowns) cèdent la place aux bandes de rock qui se trémoussent devant une armée de jeunes filles en émoi.
Dire la vie, la rencontre, l'amour, le temps qui passe avec simplicité, humour, émotion: telle est la grande réussite d'un film qui trouve toujours le bon dosage entre purs gags (le moment où Tatischeff doit réparer une voiture, l'intervention d'une plantureuse chanteuse d'opéra arborant une toge romaine et un casque de légionnaire) et moments d'émotion (les dernières images, bouleversantes, où toutes les lumières de la ville s'éteignent petit à petit). S'il part d'un script de trente pages laissé de côté par Tati à l'époque parce que celui-ci redoutait la teneur trop dramatique du projet, L'illusionniste parvient finalement à s'adresser à un public très large, loin de se réduire à l'armada des fans de M. Hulot, et confirme avec vigueur et maestria la formidable vitalité d'un cinéma d'animation français, décidément de plus en plus ambiteux et diversifié (citons Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Azur et Asmar de Michel Ocelot...).