Très bon film de Lars von Trier (peut-on de toute façon, décemment, qualifier un film de Lars von Trier de daube ?), qui relate la convalescence psychologique d'une femme, à la suite du décès de son fils. Ou plus précisément, de la descente aux Enfers d'une femme (et pour cause...), mais aussi d'un homme, de son homme, bref du couple interprété par Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe. Je dois confesser que je pars avec un sacré a priori positif avant un film de Lars (j'ai pleuré devant Breaking the waves et Dancer in the dark, ri devant Les idiots et Le director, halluciné devant Dogville et Manderlay) ; mais cet Antichrist est une de ces oeuvres coup-de poing qui a mes plus hautes faveurs, parce que plus sombre, plus torturé, plus dérangeant, plus beau, plus transgressif, plus triste aussi. Pourquoi Antichrist d'ailleurs ? Petit détour pour débouter toutes les critiques acerbes des critiques sur ce film de Lars, qui l'ont trouvé dégoûtant, abject, monstrueux, sale. J'ai bien peur qu'ils n'aient rien compris, encore une fois (et, soit dit en passant, Lars a bien fait de leur répondre très humblement : «I am the best film director in the world !»...). Ce n'est certainement pas un film sataniste ou platement anti-valeurs, anti-culture, anti-christianisme, c'est bien plus profond que ça (c'est même presque plus profond, au moins dans l'intention, que l'entreprise nietzschéenne (c'est dire...)) : Lars n'oppose pas un dogme contre le christianisme (c'est en un sens l'erreur de Nietzsche : en s'y opposant trait pour trait, il en reste malgré tout dépendant), mais il pousse le christianisme jusqu'en ses conséquences dernières : il en accepte les présupposés, et montre ses contradictions internes, son impossibilité, ses difficultés, son absurdité propres. En un sens, il achève le christianisme plus qu'il ne s'y oppose frontalement.
Un mot quand même sur le synopsis : on retrouve, à la première et à la dernière partie du film (Prologue et épilogue, on sait le goût de Lars pour la chapitrisation de ses films, encore une fois présente ici), deux scènes qui se répondent par leur style, encadrant comme une grande parenthèse le film proprement dit, deux scènes absolument magnifiques, en noir et blanc (alors que le reste est en couleur), filmées au ralenti (1000 images par secondes...), sur l'air le plus connu du Rinaldo de Haendel. C'est beau à en pleurer, mais passons ; le prologue montre donc, sur deux plans convergents, d'une part le couple en train de s'envoyer en l'air sous la douche, puis sur le lit (je dis le couple, mais il s'agit surtout du visage de Charlotte, de la femme, alors que l'homme n'est montré que de dos), d'autre part l'enfant du couple, qui lui sort de son lit, puis de son enclos protecteur jusqu'à la pièce centrale de l'appartement (il voit même ses parents en train de s'amuser...), où il voit alors une fenêtre ouverte, décide d'escalader jusqu'à elle, et de sauter délicieusement du Xième étage, comme un jeu, avec son nounours. Bref, le morveux saute et se tue au même moment (convergence) où sa mère jouit, dans les bras de son homme. Pour ce qui est de la prédestination divine, il y a mieux ; mais pour l'ironie vontrierienne «anti-christ», c'est assez juteux... Bon je n'avais pas vu autant de talent dans l'image depuis, sans aucun doute, le début et le final du Black Swan d'Aronofsky (similitudes dans la forme début-fin, d'ailleurs) : la cantatrice porte les images, dilate par sa beauté même la temporalité de l'image, l'éclairant en retour de sa perfection. C'est splendide.
Bref, suite à cela Charlotte tombe en dépression grave (culpabilité, mémoire de la faute, moralisation à outrance de l'acte, mauvaise conscience et tutti quanti), prend un tas de médocs dans le service psy d'un hôpital, jusqu'à ce que Willem, thérapeute lui-même, la sorte de l'enfer médicamenteux ou pharmocologique, afin de la soigner lui-même (dans une sorte de psychanalyse personnelle). Suite à une investigation dans l'inconscient de Charlotte («Quel est le pire endroit pour toi ?»), ils se rendent alors tous deux en forêt, dans une cabane où ils ont apparemment l'habitude de passer leurs vacances. Et c'est là que le film dévie dans une atmosphère de plus en plus inquiétante, angoissante, (presque un mélange freudo-heideggerien de l'angoisse) dérangeante : Charlotte ne guérit pas, mais ressasse plutôt davantage sa faute en présence de souvenirs personnels et de photos. Bref, tout se complique, tout s'agrave, et ce jusqu'à la folie, sous-jacente dès le début du film, mais qui se manifeste progressivement («antichrist» signifie donc alors : anti-pardon, anti-oubli, anti-réconciliation avec soi-même ; et plutôt fuite de soi jusqu'à perte de soi, effusion de soi, dispersion de soi – au nom d'une herméneutique de soi qui ne conclut pas au renoncement de soi devant la transcendance divine [...].
La critique complète sur le Tching's ciné bien sûr (note finale : 17/20) :
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