Une fois passée la séquence d'ouverture la plus nulle de l'Histoire du Cinéma, Lars Von Trier reprend ses esprits et signe un film audacieux et plus profond qu'il n'y paraît. Cannes en 2009 avait vomi sa haine sur Antichrist, trouvant là son bouc émissaire habituel, le traitant de tous les noms. Mais Antichrist n'est pas misogyne, idiot, mauvais. Il va là où on ne l'attend pas, et même si détourner les conventions et jouer avec les codes classiques du cinéma n'est pas un gage de qualité, Lars Von Trier parvient à donner un réel intérêt à son film en y injectant une audace et une intelligence dont la rareté dans le cinéma moderne devrait obliger à manifester plus d'estime à Antichrist. Je pense qu'il faut quand même avoir un sacré talent pour réussir à rendre effrayante Charlotte Gainsbourg. Prenons par exemple la séquence de masturbation frénétique. Qui a pris son pied ? Qui peut prendre son pied devant une telle horreur ? Parce qu'il s'agit véritablement d'une scène davantage effrayante qu'excitante, qui montre le personnage principal sombrer encore plus dans la folie. Qui aurait imaginé qu'une séquence d'onanisme exercé par Charlotte Gainsbourg eût donné comme résultat la peur devant un personnage en total déperdition ? C'est que l'ambiance étrange et malsaine imposée par Lars Von Trier trouve ici le moyen de s'enfoncer encore plus vers une profondeur inconnue, déconnectant Charlotte d'une certaine réalité.
Et c'est là que la misogynie ne peut pas intervenir. Simplement parce que plus qu'une femme - et par extension une représentation de toutes les femmes - le personnage de Gainsbourg est l'incarnation de la folie. Il semble trop réducteur de voir dans Antichrist une opposition entre les deux sexes. Von Trier aborde la question, mais la misogynie est ici inconcevable, parce que le personnage féminin a perdu la raison. Dès lors, impossible de voir en elle un modèle, sinon une exception. Le personnage ne doit pas être vu comme une femme - du moins pas ici - sinon comme une folle, dont l'état est compréhensible au vu de l'événement de base du film. La tragédie du monde c'est la perte d'un être cher, qui entraîne la perte irrémédiable de ses proches, en ce sens que la mort n'est pas seulement l'expérience du principal intéressé ( si j'ose dire ).
Lars Von Trier est un cinéaste pessimiste, et Antichrist n'échappe pas à la règle. Le réalisateur ne fait que reprendre le mythe d'Adam et Eve, mais à l'envers. Il ne raconte pas le début de l'Humanité, sinon sa fin. La symbolique religieuse du film est dense, mais restons-en au couple originel. Si Dieu avait choisi Eve et Adam pour commencer, Lars Von Trier se place lui en antidieu ( plutôt qu'en antichrist ) et boucle l'Histoire en détruisant le couple. La folie de Charlotte Gainsbourg - son hystérie même - est à l'origine de scènes gores, choquantes, sans concessions. Elle aboutit vers la fin du film à un acte qui n'aura pas laissé indifférent
: l'acharnement de la jeune femme, à l'aide d'une pierre, sur le sexe de Willem Defoe, et l'excision qu'elle s'inflige.
Actes symboliques, comme s'il fallait ne plus pouvoir se reproduire, témoignage du dégoût et de la mésestime du personnage envers l'être humain.
Quelques mots sur la mise en scène, typique du travail de LVT. Soit une caméra épaule et un style documentaire qui renforcent l'immersion du spectateur. Dans un film aussi horrifique, cela ne peut qu'être une bonne chose. Et ça n'a jamais rien de gratuit, car comme avec les très beaux personnages " principales " de Dogville et Breaking The Waves, on sent la présence du cinéaste derrière Charlotte Gainsbourg, une sorte de soutien, comme s'il était partie intégrante de cette quête perdue d'avance - mais néanmoins belle - dans laquelle se lance le personnage.
Du très grand cinéma.