Le film s'ouvre sur un montage d'images d'archives vidéo qui défilent pêle-mêle sur "54 46 was my number" de Toots & the Maytals : Pacman, Thatcher, le Rubik's cube, la grève des mineurs, Lady Di, les émeutes de Notting Hill, K2000 et la guerre des Malouines. Ce télescopage d'images à la fois proches et déjà terriblement démodées annoncent la tension et la violence sous-jacente qui vont traverser le film : violence sociale du chômage et des grandes luttes anti-thatcheriennes, violence de cette guerre dérisoire pour quelques moutons dans l'Atlantique-Sud, avec la vision presque subliminale d'un soldat sur un brancard, la jambe arrachée, violence des institutions qui pratiquaient encore le châtiment corporel dans les écoles, violence du discours des skinheads et du National Front.
Le propos de Shane Meadows, qui a été lui-même skinhead à 12 ans, est clair dès le début du film : c'est la détresse affective qui pousse ces gamins à la haine et à la violence. C'est cette absence insupportable du père qui conduit Shaun à retrouver une famille dans la bande des skins, et c'est la jalousie de voir un Jamaïcain bénéficier d'une vie de famille équilibré qui amène Combo à massacrer Milky, bien plus que l'idéologie raciste.
Le désœuvrement, la peur de l'autre et la musique ska semblent les seuls ciments de cette bande hétéroclite, avec des skins malingres, des hercules de foire, et des adolescentes aux coupes improbables. Cela, et une incapacité à rentrer dans le monde adulte : ils se déguisent, se délectent à tout casser dans une maison abandonnée et à un sauter dans les flaques d'eau, ils font la bombe à la piscine et se passionnent pour un jeu playskool.
Le caractère autobiographique du film conduit à un certain manichéisme : comme pour les chasseurs, il y aurait les bons skins et les mauvais skins. Les bons seraient tolérants et multiethniques, gentiment déconneurs, et ils feraient même convenablement fonction de garde d'enfants, à tel point que la mère de Shaun leur confie son fils, ne leur reprochant qu'une coupe à la tondeuse un peu hâtive. Les mauvais seraient pollués par une idéologie exogène représentée par l'orateur du National Front.
Film étrange que ce "This is England", à la fois proche dans son propos et très différent dans son traitement de "Hooligans". Ce dernier souffrait d'un scénario beaucoup trop attendu ; à l'inverse, le film de Shane Meadows semble progressivement déraper à l'unisson des délires cyclothymiques de Combo, avec des passages plutôt bien vus comme le jeu de chaises musicales au sein de la bande pour le rôle de tête de turc, et d'autres franchement ridicules comme le flirt de Shaun et de Smell, une grande gigue maquillée comme Kimera.
Le film repose sur Thomas Turgoose qui joue Shaun, constamment à l'écran. Repéré au cours d'un casting sauvage dans un club de jeunes d'un quartier défavorisé, il incarne parfaitement le mélange de dureté et d'innocence de son personnage. Les autres acteurs ne sont pas mal non plus, notamment Stephen Graham qui compose un personnage qu'on aurait pu croiser dans "A Very british Gangster".
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