Je me suis rendu au cinéma avec des sentiments mêlés : j'avais beaucoup aimé la virtuosité de la mise en scène et la légèreté du jeu de Keira Knigtley dans "Orgueil et Préjugés", alors que j'ai détesté le roman de Ian McEwan dont est tiré le film, "Expiation", digne des pires romans à l'eau de rose de la collection Harlequin. La question était donc : peut on faire un bon film à partir d'un mauvais livre ? (Le contraire étant malheureusement prouvé depuis longtemps). Dans le cas présent, la réponse est indubitablement négative. Même débarassée des insupportables descriptions des tourments intérieurs des personnages, l'intrigue reste ce qu'elle est : une suite de lieux communs (la bourgeoise qui se tape le garde-chasse, on a déjà donné) et d'invraisemblances (le prétendant qui envoie un poéme de cul au lieu de sa déclaration), un mélo suranné plombé par une psychologie des personnages superficielle.
La première partie est pourtant assez alléchante, resserrée sur le chassé-croisé des principaux protagonistes dans le manoir victorien. On retrouve l'importance que Joe Whright accorde à ses décors, et il sait utiliser une caméra très mobile pour suivre les déplacements de Briony, Cecilia et Robbie dans le dédale de couloirs et d'escaliers lambrissés. De même, sa façon d'adopter le point de vue des différents personnages en rejouant la même scène centrée sur la cadette puis sur l'aînée permet de comprendre comment l'imagination débridée de Briony va conduire à la catastrophe. Enfin, il réussit à rendre palpable la moiteur de ce mois d'août caniculaire où les personnages passent leur vie dans l'eau, grâce à une photographie qui restitue parfaitement la lumière de cette fin d'été.
Mise au service d'une fluidité du récit dans la première partie, cette virtuosité tourne à vide par la suite, à l'image de ce long plan séquence sur la plage de Dunkerque où la caméra en suivant Robbie découvre une succession de tableaux artificiels, comme cette chorale de bidasses en haillons chantant le visage tourné vers la Mère Patrie, ou l'abattage des chevaux par des officiers fançais, jamais un Britannique ne pouvant faire cela. Dans la station balnéaire pillonnée par l'artillerie allemande, on trouve quand même le temps de projeter "Quai des Brumes", histoire d'incruster la silhouette meurtrie de Robbie devant les visages de Gabin et de Morgan.
Progressivement, la brio devient académisme, et les effets laissent entrevoir leurs grosses ficelles, comme la musique intégrant le tic-tac de la machine à écrire chaque fois qu'apparaît l'apprentie écrivaine, ou le mimétisme revendiqué des trois actrices qui incarnent Briony à 13, 18 et à 70 ans, et qui déguise Vanessa Redgrave en gamine à sandalettes.
On ne retrouve pas la vivacité d'Elisabeth Bennet dans le jeu de Keira Knightley, engoncée dans son corset de grande bourgeoise dont les dialogues se limitent à peu près à "Come back to me" ; elle a eu plus à jouer dans sa troisième collaboration avec Joe Whright, à savoir la publicité pour Coco Mademoiselle de Chanel. James McAvoy est un peu mieux servi, et il donne plus de consistance à son personnage que dans "Le dernier Roi d'Ecosse".
Espérons que Joe Whright sera plus inspiré pour le choix de son prochain sujet, car il y a quand même dans "Reviens-moi" quelques plans qui donnent envie de le revoir : un bombardier qui passe dans le ciel circonscrit par le vasistas de la salle de bain, une petite vieille qui s'appuie sur une poussette d'enfant, le visage obscurci de Briony dans la pénombre de sa chambre une fois son forfait accompli.
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