Mené à un rythme palpitant par une J. Moore qui se livre à un éclatant tour de force, mis en scène avec une virtuosité sensorielle sans égal, symboliquement caractérisé par une photographie tantôt immaculée, aveuglante, tantôt obscure, déroutante, il n’en fallait pas plus à BLINDESS pour devenir un classique instantané. Ce qui en fait un chef d’œuvre : le grand paradoxe qu’il souligne. Dans un monde où tout est de + en +artificiel, de + en + froid, où les gens ne prennent plus le temps de partager, de se toucher, de se regarder, Meirelles émet une hypothèse : si la société était victime d’un état de cécité collective, c’est en étant aveugles qu’il y aurait chez les hommes un renforcement de leurs valeurs humaines et morales, qui amènerait à la création d’une affinité et d’une solidarité authentiques, dont ils sont en manque cruel. Mais le chaos face auquel ils seraient exposés, face aux sentiments d’insécurité et d’impuissance que provoqueraient la perte de la perception visuelle, donc de repères, si cela se produisait, ne pourrait qu’aboutir à l’anarchie quand chacun se laisserait guider par ses instincts primitifs de survie. Meirelles donne à sa réflexion toute sa force et son intelligence en anticipant chez ses personnages ce comportement instinctif ; et il y a là dans son film, engagé et profondément humain, une magnifique philosophie, un vrai retour aux valeurs fondamentales de l’humanité, en même temps qu’un constat assez préoccupant en ce qui concerne l’avenir, donnant à BLINDNESS toute sa dimension dite futuriste. La réussite de Meirelles c’est de parvenir, et particulièrement de maintenir, pendant 2h durant, cette immersion dans l’aveuglement à laquelle nous, spectateurs, assistons, provoquant au plus profond de nous-mêmes, une fois subi, un sentiment salvateur de voir, d’être en vie, d’être humain. Film d’ouverture apocalyptique et poétique, énième représentant de l’extraordinaire richesse qui caractérisait la Sélection Officielle du 61èFestival De Cannes.