Ah ! Le fameux choc de la Nouvelle vague !
Alors oui – c’est sûr – je pourrais vous parler de ce film en vous ressortant ma petite fiche d’écolier et en vous disant que « oulala ! ça coupe à tout va ; ça tourne en extérieur ; ça joue avec des miroirs ; ça se pose des questions existentielles sur son nombril et en plus c’est une femme qui fait tout ça… C’est l’Histoire, inclinons nous. »
Oui je pourrais… Mais personnellement je n’en vois pas l’intérêt.
J’avoue que je reste toujours un peu incrédule face à ces cinéphiles qui – sitôt on parle du cinéma de la Nouvelle-vague – arrivent avec leur leçon de SAV et leurs fiches bristol sur lesquelles ils ont stabyloté tous les points importants à bien souligner parce que tu-comprends-c’est-la-Nouvelle-vague-quoi…
Personnellement je n’ai rien contre les gens qui prennent sincèrement leur pied devant ce genre de film – vraiment tant mieux pour eux – mais par contre je me dis aussi que ça peut être aussi intéressant de varier les approches et les regards sur ce « Cléo de 5 à 7 » qui moi m’a laissé froid comme un glaçon.
Alors d’accord, y’a de la rupture, de l’audace, de la tentative – surtout pour l’époque – tout ça je ne dis pas… Mais franchement – et comme je dis souvent avec le cinéma de la Nouvelle vague – tout ça au service de quoi ?
Ici c’est la sortie de Cléo de chez la cartomancienne qu’on charcute de trois raccords dans l’axe.
Là c’est l’écran qu’on sépare en deux pour surimposer deux conversations en même temps.
Et puis plus loin c’est la caméra qui vient frôler les visages et tourner autour d’eux.
Tous ces effets sont au fond très criards et démonstratifs mais pour au final n’aboutir à rien de subtil.
OK, les miroirs renvoient au nombrilisme de l’héroïne comme à ce visage qu’elle affiche en permanence aux autres et qui n’est que le reflet d’un artéfact…
D’accord, l’enchainement de certaines images mentales que se fait l’héroïne la rappellent à ses réalités : la vieillesse à venir, la prédiction de la mort, la fin de l’insouciance…
…Mais – encore une fois – tout ça n’est vraiment pas très subtil.
D’ailleurs c’est certainement cela qui m’a le plus choqué en voyant ce film : la balourdise, pour ne pas dire la grossièreté
Parce qu'à bien tout prendre, ce film fait quand même peu avec pas grand-chose.
Ne serait-ce qu'en termes de matériau de base, l'intrigue pourrait certainement se résumer en seulement trois ou quatre phrases.
Au fond ce film n’a vraiment pas grand-chose à dire. Ça tiendrait en quatre phrases.
Cléo est jolie et ça la rend heureuse.
Mais à cause d’un rendez-vous médical et d’une cartomancienne, Cléo se rend compte qu’un jour elle mourra ; la mort étant ici à associer avec la vieillesse et la décrépitude.
Cléo découvre alors que son existence est factice et qu’elle n’a de rapport sincère avec personne et surtout pas avec elle-même.
Du coup Cléo se pourrit la vie jusqu’à ce qu’elle rencontre Antoine, qui la fait soudainement tout relativiser.
Et Agnès Varda a donc cherché à tenir l'heure et demie avec seulement ça.
Et le problème, c'est qu'elle s'efforce clairement de tenir en bouchant les trous à la truelle.
Premier constat : « Cléo de 5 à 7 » tourne en rond. Tout le temps.
En gros si on retire l’introduction avec la cartomancienne qui dure 5 minutes et la scène finale qui dure un quart d’heure, tout le reste n’est qu’une boucle perpétuelle de la même situation ; une boucle qui ne trouve que de très rares déclinaisons.
Cléo retrouve quelqu’un qui l’admire.
Cléo lui parle de sa situation ouvertement ou affiche son masque de quiétude.
Et puis ensuite Cléo se plaint : « Ahlalalalala ! Je vais mourir ! Perdre ma beauté ! Queeeeeelle triste vie que la mienne ! »
Et ce qui est affligeant c’est qu’à ce constat s’en ajoute un deuxième : Agnès Varda est vraiment une piètre écrivaine de dialogue
Tout est dit littéralement. Au premier degré.
Et comme si les échanges entre personnages ne suffisaient pas, le film est en plus parpaingué de voix-off.
…Et ça donne lieu à des monuments d’écriture tel que :
« J’aurais dû parler à mon homme. Je suis trop bonne avec les hommes. Pourquoi ne me demande-t-il rien ? » ou bien encore « Cette figure de poupée [que je vois dans le miroir] est toujours la même. Je n’arrive même pas à y lire ma propre peur… »
La subtilité se retrouve jusque dans les chansons (car Cléo est chanteuse) :
« Je suis une maison vide… Belle en pure perte… Je suis un corps à vide. Je me couvre de riiiiiides sans toaaaaaaaaaaaa ! »
Franchement, c’est grossier à en être grotesque.
Tout ça mis bout-à-bout m’a d’ailleurs conduit à un étrange (et dernier) constat.
A me coltiner ses plâtrées de lourdeurs, parfois je cherchais ce qui pouvait me tenir éveillé chez les autres cinéastes de la Nouvelle vague mais que je ne trouvais pas ici : les transgressions formelles.
Parce qu'au bout d'un moment, au beau milieu de ses nombreuses logorrhées, on est quand même en droit de se demander où est-ce qu'elle est passée la monteuse déchainée et la cadreuse virevoltante !
Car l’air de rien – à bien observer – il fonctionne quand même vachement sur courant alternatif le cinéma disruptif d’Agnès Varda !
Ah ça on en fait des pirouettes quand Cléo se contente d’errer dans les rues, d’essayer des chapeaux ou de chouiner dans les bars ! Mais par contre sitôt un personnage ouvre la bouche et qu’il faut filmer un vrai échange que ça patine tout de suite !
On n’a plus rien à se mettre sous la dent à part une caméra qui ne sait plus trop quoi foutre pour essayer de donner de l’originalité au cadre. Alors celle-ci se balade lentement, un peu en tournant autour du sujet ou parfois un peu en s’en rapprochant…
…Et tant pis si c’est pour afficher deux tiers de murs dans le plan hein !
(L’entrée des musiciens dans l’appartement de Cléo est l’illustration parfaite de cette réalisation au-petit-bonheur-la-chance. Assez triste tant l’inspiration est aux abonnées absentes.)
Au final, tout ce que ce film m’inspire c’est un vrai sentiment de glisse artificielle.
Ça bouge pour bouger mais jamais pour dire quoi que ce soit.
C’est vraiment du cinéma factice de bout en bout.
Et balourd avec ça.
Alors après j’entends celles et ceux qui me diront que tout cinéma n’est que ça – de l’artifice – et que je serais bien stupide de ne pas vouloir le voir.
Certes, mais je répondrais tout de même à cela que ce qui – chez moi – fait la force d’un art, c’est justement quand il me fait oublier qu’il n’est au fond qu’un artifice.
Or, « Cléo de 5 à 7 » à mes yeux ça n’a été que ça : de l’artifice sans art.
Je n’ai d’ailleurs jamais vu Cléo à l’écran, j’ai toujours vu Agnès Varda.
Pendant 1h30, quand j’entendais un mot, je voyais Agnès Varda l’écrire à son bureau avec un petit sourire satisfait.
Quand je voyais un traveling ou un montage, je voyais encore et toujours la même Agnès avec le même sourire.
Ce film pue le trip egotique.
…Et en plus un trip qui se matérialise sous la forme d’une fable tournant autour d’un autre trip égotique ; celui d'une caricature de bourgeoise imbuvable !
Ah bah super la Nouvelle vague !
Merci !
Je la vois bien là cette Révolution qui est en marche !
En définitive, tout ça m’amène à me dire qu’ils n’ont peut-être pas tort celles et ceux qui viennent nous parler de ce film avec leurs petites fiches de révision.
Finalement c’est peut-être en n’en parlant que sous l’angle historique – de manière totalement dépassionnée – qu’on parle au mieux de ce « Cléo de 5 à 7 ».
Parce qu’au final il n’est quand même pas bien folichon ce cinéma que nous offre Agnès Varda.
…Par contre c’est vrai qu’à côté de ça il est un magnifique étendard de son époque et de son mouvement.
…Un symbole de l’affirmation de cette nouvelle bourgeoisie bohème totalement égocentrée et qui saura s’imposer dans notre pays pour toute la fin du XXe siècle et même le début du suivant…
…à notre plus grand dépend.