Le film de Jan Kounen est souvent comparé à un Tarantino. Pour moi ce n'est pas le cas, s'il y a effectivement quelques similitudes avec ce même humour dans la violence, avec des personnages exubérants et avec une construction déconstruite, la comparaison s'arrête là. La réalisation pousse le vice encore plus loin, il n'y a pas de personnages qui ne soient pas détestables, tous sont idiots ou cruels, ou les deux à la fois. Même dans les effets de style survitaminés, dans les dialogues caricaturaux au possible et dans le scénario parsemé de nombreuses incohérences de situation, tout semble vouloir rebuter le spectateur. Beaucoup ont du être pris dans les filets de ces horreurs de circonstances et déverser leur haine sur ce film-objet.
Comme un sculpteur, Kounen a formé de ses propres mains un objet filmique qui est si détestable qu'il en devient fascinant. En procréant d'un univers où le royaume des animaux semble avoir fait son retour, le réalisateur s'amuse fortement de cet aspect primitif de l'humanité, qui n'est rien de plus qu'un tas de canins capables de s'entretuer, de se bouffer la gueule, de copuler à droite à gauche, sans remords ni regrets. Les pseudonymes des membres du gang sont d'ailleurs là pour mettre en lumière ce désir de nous présenter un monde où de justice il n'y a pas, où d'issue il n'y en a qu'une, et où le morbide côtoie le rire avec la finesse d'un éléphant. Le seul moment émouvant du film étant d'ailleurs la mort du chien d'un des hommes de la bande, le vingtième degré étant poussé à son paroxysme. Les personnages, véritables points forts du film, soulignés par un casting de premier choix, sont les étendards de ce monde où tout n'est que plaies macabres. On se fait sauter la cervelle en récitant des passages de la bible (non, pas comme dans Pulp Fiction). La bible, cet objet censé élever l'Homme au-delà de ce qu'il est, au-delà de la nature inconsciente, se révèle ici comme un contraste jouissif entre actes d'une barbarie extrême, dignes des pires animaux, et pseudo-intellectualité. C'est une déshumanisation totale que propose Kounen, brutale et provocante.
Si l'exercice de style est réussi, il m'a fallu un certain temps pour entrer dans le film et aller dans le même courant que celui du discours filmique. Passé ces premières minutes de doutes, voir d'incompréhension, s'ensuit un assemblage de dégueulasseries magnifiques, qui nous montre un monde sans règles, et, curieusement, au cœur de ce monde, on prend notre pied comme jamais. La déshumanisation marche, y compris sur nous, puisqu'on devient des marionnettes du réalisateur, acceptant tout ce qu'il nous montre sans sourciller. Cette provocation dans la forme, ce vide dans le fond, et cette puérilité sans nom font de Dobermann une réussite, un "regardez-moi" qui doit en agacer beaucoup mais qui mérite sa place au panthéon des films-miroirs, un miroir volontairement mis en pièce, nous défigurant un à un...