Nombreuses sont les critiques faisant de ce film de Jia Zhang-ke un témoignage sur la Chine d'aujourd'hui, celle d'un pays communiste lancé dans une course effrenée vers un liberalisme sans limites. Certes, mais celà serait trop réducteur quant à l'ampleur de la vision du metteur en scène.
Si l'action et les personnages sont purement chinois, le cadre esthétique posé par l'auteur relève plus du film de science-fiction que d'une chronique sociale à la Yang Zhimou du début de carrière : le lieu est bel et bien le barrage des Trois-Gorges, il n'en demeure pas moins un lieu fantômatique (les gravats des immeubles détruits se confondent avec une nature humide et omniprésente, voire oppressante), fantasmatique (celui du rêve, comme cet "immeuble-fusée") et régressif, dans la mesure où l'homme est de plus en plus confronté à la nature à mesure qu'il détruit.
Jia Zhang-ke peut donc alors partir de cadre hypperealiste afin de le sublimer par une mise en scène littéralement "entre deux eaux", entre deux mondes, à l'image même du film. A la fois reportage quasi-documentaire en DV et fresque épique au lyrisme émouvant, le réalisateur réussit un pari risqué, surtout au vu de son modique budget, 50 000 $. La réalisation est en effet à l'image de cette histoire, celle d'un homme et d'une femme se perdant au milieu de cette ville sur le point de mourir (mais qui sera le point de départ de quelque chose de nouveau), eux-mêmes ayant perdu toute humanisation (beau travail de retenue des 2 acteurs principaux), mais ici pour trouver ce semblant de vie qu'ils ont perdu depuis longtemps, fille ou mari, c'est le même périple.
A l'image du plan final, c'est tout un monde qui se situe au bord du gouffre, sur un fil : la Chine, brûlant les étapes pour passer d'un monde à un autre, mais aussi et surtout l'Homme, en perpetuelle recherche, celle d'un avenir meilleur, mais devant forcément prendre racine dans la recherche du passé perdu.