"Paranoïd Park" se présente comme le troisième volet d'une trilogie comprenant aussi "Elephant" et "Last Days", et ayant comme thème commun des personnages adolescents -ou adulescent pour Kurt Cobain- enfermés dans un exil intérieur. Moins avant-gardiste que "Gerry", moins jusqu'au-boutiste que "Last Days", cet adaptation du roman de Blake Nelson ne revient pas pour autant à la linéarité de ses succès hollywoodiens, "Will Hunting" ou "A la Rencontre de Forrester".
Mieux, il représente un brillant condensé de ce que sait faire Gus Van Sant, sans que cela ne tourne à l'exercice de style superficiel, car ce brio est constamment au service de l'histoire (très simple), et surtout à celui de la description de la distance au monde de son héros. Il est aidé en cela par Christopher Doyle, le directeur de la photo de Wong-Kar-Wai, qui jongle avec virtuosité entre un 8 mm au très gros grain pour les scènes de skate, et un 35 mm aux teintes parfois saturés pour saisir les nuances du climat océanique qui baigne Portland, en écho aux turbulences intérieures d'Alex.
Ils utilisent les ralentis, la faible profondeur de champ et même les flous, les longs travelings avant, alternant caméra stable, comme dans ses films précédents, et caméra ultra-mobile, pour épouser la sinuosité des skates. Gus Van Sant reconnait d'ailleurs que c'est le travail que Chris Doyle a effectué pour le réalisateur de "In The Mood for Love" qui l'a poussé à faire appel à lui : "J'ai vraiment essayé de pousser Chris dans un territoire instable, un territoire "grand angle", aussi à cause des derniers films de Wong-Kar-Wai que j'avais vus, en particulier Les Anges Déchus."
Et puis, il y a la pulsation permanente apportée par la musique, parfois en harmonie avec l'image, parfois en décalage totale, comme lors de la scène de rupture, où Jennifer habillée en cheerleader apprend qu'Alex la laisse tomber et l'agonit d'injures, sans qu'on entende un mot de leur dispute, écrasée par la musique d'"Amarcord" jouée sur un vieux 33 T. Là, ce mutisme illustre la coupure d'Alex avec son environnement ; car le recours à ces distorsions s'expliquent par la volonté d'adopter le point de vue d'Alex, comme le long moment où le vigile le regarde, alors qu'il a été coupé en deux par le train et n'aurait certainement pas eu la force de tenir cette position si longtemps ; ou encore le dépucelage de Jennifer, résumé à un gros plan fixe sur une frange de cheveux blonds en train de s'agiter.
De même, ce point de vue exclut les adultes du champ de vision, comme dans "Elephant". La mère est filmée de dos, de loin, ou carrément laissée hors cadre ; le père, lui, est flou, la mise au point étant faite sur Alex. Le seul adulte qui est filmé normalement est l'inspecteur, représentatif de la menace qui pèse sur Alex.
On retrouve de nombreuses citations des autres films de Gus Van Sant, comme ces longs traveling arrière dans les couloirs du lycée, tirés de "Elephant", ou ce long et quasi imperceptible traveling avant sur la table où Alex est interrogé, et qui finit sur le visage de l'adolescent au moment précis où l'inspecteur fait part de ses soupçons, reprise de celui de "Last Days" qui commençait loin hors de la maison et se finissait sur le visage de Blake au moment où il retrouvait un peu de vie en jouant de la musique.
Et le plan-clé d'Alex se lavant de sa culpabilité et de sa peur sous la douche rappelle par sa durée et son jeu de lumière le plan final de "Gerry".
Construit comme les précédentes œuvres de Gus Van Sant à l'aide de flash backs, de répétitions et de transitions cut, "Paranoïd Park" est un film brillant et passionnant, aussi intéressant par ce qu'il montre que par les larges zones d'ombre qu'il laisse entrevoir.
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