Derrière l’esthétique de scopitone que s’accaparent à nouveau Gus Van Sant, «Paranoid Park» (USA, 2007) pétrifie l’adolescence pour en sourdre sa douce insolence et l’essence du geste créatif. Sur l’âge ingrat chez Van Sant, il y a déjà eu «Elephant», mais l’œuvre s’inscrivait à la fois dans une volonté politique. A contrario, «Paranoid Park» évapore toute notion de drame absolu pour alléger le récit et caractériser davantage les circonvolutions aléatoires de la jeunesse. Or la tension, qui anime l’intrigue, n’est pas anodine. Alex, jeune éphèbe type de Van Sant, tue par inadvertance un garde ferroviaire. Le meurtre, en lui-même, a peu d’importance, il n’est d’ailleurs explicité comme telle que longtemps suite au début et retombe aussitôt dans le nébuleux une fois illustré. Cet instant, où le corps scindé en deux rampe, figure l’effroi du crime de façon exceptionnelle. Mais ce n’est que le temps d’une image précisément que le meurtre vaut pour lui-même. Au reste du film, il n’est que le moyen à la mise en exergue de la culpabilité adolescente. Le Joseph K. de Kafka devient un ange déchu dont la chute prend des allures somptueuses. Les plus belles des images sont celles de la douche où, se rinçant de son péché, Alex sombre dans les ténèbres à mesure que la lumière de Christopher Doyle couvre son corps dans un noir sans issu. Sans issu, pas tout à fait Car plus que l’étrange culpabilité juvénile, c’est la fonction de l’acte créateur qui nourrit le film. Comme Alex se délaisse de ses péchés dans l’écriture d’une lettre, Van Sant donne forme à ses amours de Beauté dans la matière de son film. Les scènes cristallines où le flux du temps décale l’image du son donnent au monde de Van Sant une appréhension informe. In fine, quand Alex s’est délaissé de ses péchés, quand la création (la lettre), achevée, s’évapore en poussière dans l’infini des cieux, le démon redevient un ange, plongeant à nouveau dans ses rêves en 8mm.