"Chungking Express" est, comme toujours chez Wong Kar-Wai, une œuvre profondément déroutante. Les promesses qui sont faites au spectateur sont, à l'instar des "Cendres du temps" avec le wu xia pian, complètement tordues, déformées, noyées sous les ambitions du cinéaste hong-kongais.
Le long-métrage se scinde ainsi en deux parties, chacune narrant un amour naissant entre deux êtres. Il y a alors de quoi être surpris, voyant un récit romantique, à la structure semblant classique, débuter par une scène de polar au montage effréné, avant qu'une phrase, aussi simple que belle, invite toutes les obsessions de WKW à surgir.
La notion du temps est de nouveau une composante essentielle dans la construction, formelle et narrative, de l'œuvre, par sa mention directe, mais surtout par sa mise en scène. Aucune des expérimentations de montage n'est ici gratuite, cherchant à créer un véritable langage plutôt qu'un quelconque caprice esthétique. Tout s'extirpe alors du réel, devenant la traduction des sentiments qui animent les protagonistes.
Si la répétition d'événements accentuent ce sentiment, c'est encore une fois celle de la musique qui s'impose comme véritable marqueur dans l'évolution des relations. Cette vision radicale donne parfois lieu à des tentatives déstabilisantes - les mouvements ralentis de l'individu, alors que la foule est accélérée - se voulant témoin d'un monde où l'amour est hostile. En effet, les matricules 223 et 663 (deux face d'une même pièce) cherchent à se reconstruire après une déception amoureuse, mais se heurtent à un monde où la communication est devenue ennemie. Les personnages passent ainsi leur temps à s'aimer, mais font pourtant tout pour s'éviter.
Malgré la puissance des ses ambitions, le plus beau reste la manière dont elles sont traitées. Car si les thématiques sont lourdes, le film, lui, ne l'est jamais. Mettant très vite de côté l'enjeu de la création possible d'un couple, le long-métrage est investi par un désenchantement doux-amour dans la première partie, là où la désinvolture propre au personnage de Faye (incroyable Faye Wong) emporte totalement la seconde.
Et c'est bien cette liberté que l'on retient de "Chungking Express". Celle d'un auteur en pleine possession de son œuvre, qui se permet d'expérimenter aussi longtemps que cela sert son intention ou son propos. Une œuvre d'une richesse formelle inouïe, et à la force émotionnelle rare.