1880. Londres est la capitale du plus vaste empire ayant jamais existé, sur lequel Victoria règne depuis déjà 43 ans (et pour encore plus de 20 ans). Ce centre du monde a vu sa population multipliée par 6 depuis le début du 19°siècle (presque six millions d'habitants alors, quand Paris n'en a qu'un et demi), et la misère effrayante y règne dans de nombreux quartiers faits de taudis insalubres où s'entassent des familles entières - alcoolisme, prostitution sordide, épidémies sont encore le lot quotidien de misérables comme Dickens en présentait quelque trente ans plus tôt. Des philanthropes tentent de remédier à cette situation, Charlotte Dalrymple, la fille aînée d'un médecin à la mode, s'implique pour sa part personnellement dans cette lutte en ayant ouvert un centre d'asile où elle accueille femmes et enfants. Cette jeune femme passionnée et volontaire, également suffragette avant l'heure (le mouvement date de 1903, et les femmes anglaises n'auront le droit de voter qu'en 1918) va croiser la route de Mortimer Granville, jeune praticien venu proposer ses services au père de Charlotte, lui dont la croisade personnelle vise à l'adoption de l'hygiène domestique et de l'asepsie en milieu hospitalier, quand les chefs de service se rient des "germes" et laissent les plaies de leurs patients prospérer sous des bandages jamais renouvelés. Ces deux-là sont évidemment faits pour s'entendre, et le film évoluera gentiment vers la comédie romantique. Cependant son intérêt est largement ailleurs, dans le tableau (même s'il s'agit seulement d'une esquisse) de la société victorienne, dure aux miséreux, où le patriarcat est solidement établi et la condition féminine résolument contingentée, y compris dans la bonne société. "Tota mulier in utero" (l'utérus des femmes leur tient lieu de cerveau) est toujours le fondement de la morale sociale, et de la médecine appliquée aux femmes : tout ce qui pêche chez elles est qualifié génériquement et commodément d' "hystérie" ("hystera" : "utérus" en grec). Le Dr Dalrymple "soigne" pour sa part les frustrations et petits maux intimes de ses patientes fortunées à l'aide de "massages" médicaux dont il s'est fait une lucrative spécialité ; débordé par la demande, il s'adjoint son jeune confrère Granville, dont l'agréable tournure augmente encore sa pratique. Quasi-fiancé à la cadette des filles Dalrymple (Emily, jeune personne accomplie qui massacre Chopin et s'intéresse à la phrénologie, tout cela dans l'obéissance due à son père - tout le contraire donc de sa bouillante aînée), Mortimer doit cependant renoncer à sa prometteuse collaboration de masseur pour cause de crampes handicapantes à la main droite, instrument trop sollicité de son art "médical". La dernière trouvaille de son fantasque ami, Edmund St-John Smythe, lord richissime et inventeur, un plumeau électrique, lui donne l'idée d'une adaptation profitable, dans la mouvance du massage anti-"hystérie" : infatigable, donnant des satisfactions décuplées et ultra rapides, c'est l'ancêtre du vibromasseur, dont il partagera le brevet avec Edmund, s'assurant ainsi une aisance matérielle aussi inépuisable que les royalties à toucher (et la main de Charlotte, dont il pourra partager et financer les visées idéalistes) ! Ce tableau, très exact sur le plan de la reconstitution historique, s'il n'est pas le résultat d'une mise en scène inventive de la part de la "yankee" Tanya Wexler, a le mérite de l'angle original - et la distribution est impeccable, à la tête de laquelle une autre Américaine, la pétillante et talentueuse Maggie Gyllenhaal fait merveille dans le rôle de Charlotte, aux côtés des très "British" Rupert Everett (Edmund), Hugh Dancy (Mortimer) ou Jonathan Pryce (Dr Dalrymple). Un petit film sympathique, égratignant avec humour une société compassée tout en abordant des sujets "sérieux" : "Hysteria" est à découvrir (soulignons une nouvelle fois le manque de goût des distributeurs français ayant ici osé l'à-peu-près graveleux d'un "Oh, my God") - restez bien jusqu'au bout pour, avec le générique final, assister à une pittoresque revue par l'image. Tout est parfaitement exact !