Surtout connu pour ses films noirs qui comptent parmi les meilleurs du genre (« Laura », « Crime passionnel », « Un si doux visage », « Le mystérieux docteur Korvo », « Matt Dixon détective »), Otto Preminger s’est aussi aventuré sur d’autres territoires comme les films historiques (« Ambre », « Sainte Jeanne », «Exodus »), les drames sociétaux (« L’homme aux bras d’or », « Bonjour tristesse ») ou même les comédies musicales (« Carmen Jones », « Porgy and Bess »). Seuls, la comédie, le western, les films de capes et d’épées ou fantastiques n’ont pas éveillé la curiosité du réalisateur. « Autopsie d’un meurtre » qu’il réalise à 53 ans au zénith de sa carrière est la confirmation de son éclectisme. Deux ans auparavant un autre cinéaste d’origine autrichienne comme lui, Billy Wilder s’était essayé avec succès au film de procès avec le succulent « Témoin à charge ». La même année un jeune metteur en scène, Sidney Lumet, avait réalisé un premier film coup de poing avec « Douze hommes en colère ». Curieux, Preminger se saisit lui aussi du genre en livrant en quelque sorte une synthèse des deux films précités. S’il conserve les interrogations fortes sur l’institution judiciaire américaine posées par Lumet, il va chercher chez Billy Wilder les touches d’humour destinées à rendre sa démonstration moins abrupte que celle du fougueux Lumet. La tentative est en tout point réussie et le film de Preminger bouclera triomphalement une trilogie complétée quatre ans plus tard par le très poignant « Du silence et des ombres » de Richard Mulligan qui élargira le propos au racisme qui gangrène la société américaine et qu’enfin les cinéastes ont choisi d’aborder de front à l’aube des sixties (« La chaîne », « Dans la chaleur de la nuit », « Devine qui vient dîner ? » ) . Pour camper Paul Biegler l’ancien avocat général de retour au barreau, Preminger fait appel à James Stewart alors au sortir de sa période hitchcockienne . L’acteur qui a déjà plus de soixante films à son actif possède la maturité nécessaire pour apporter toute l’humanité et la rouerie utiles à ce rôle d' avocat madré. Aidé d’un vieux collègue avocat comme lui ayant une fâcheuse tendance à siroter et d’une secrétaire au dévouement quasi religieux, n’étant pas payé depuis des lustres, Biegler accepte une affaire de viol pour le moins alambiquée mettant en scène un militaire et sa femme à la sensualité explosive. Preminger prend son temps pour nous présenter son personnage principal et ses acolytes afin de nous mettre complètement en empathie avec ce trio anachronique dont on se demande de prime abord comment il va pouvoir se défendre face aux deux ténors du barreau new yorkais qui représentent l’accusation. Cette entrée en matière des plus réjouissantes renseigne immédiatement sur le ton que Preminger entend donner à son film. Impression confirmée par l’humour bon enfant du juge joué par Joseph N Welch véritable juge à Boston qui s'improvise pour l'occasion acteur chevronné. Ben Gazzara, Arthur O'Connell et George G Scott complètent efficacement un casting fort judicieusement choisi. Mais la palme revient indéniablement à Lee Remick qui par son jeu tout en provocation, instille de façon pernicieuse le doute dans l'esprit des membres du jury et du spectateur. La justice américaine est une lutte d'influence entre les deux parties au détriment quelquefois de la recherche de la vérité, c'est ce que démontre habilement Preminger, nous laissant au final toujours aussi peu avancés sur la vérité de cette affaire. La musique de Duke Ellington qui fait une courte apparition dans le film enrobe le tout d'une ambiance jazzy propice à l'ambiguïté et au souffre qui se dégagent de cette affaire exhalant un fort parfum de sexe . A noter enfin le générique très géométrique de Saul Bass qui réalisera tous les génériques des films de Preminger à compter de "Carmen Jones" en 1954.