"Les yeux de Satan" est l’adaptation cinématographique de la pièce « Child’s play » (Jeu d’enfant) écrite par Robert Marasco et jouée 342 fois à Broadway durant l’année 1970. Le titre original du film reprend d’ailleurs le titre de cette pièce écrite par ce dramaturge peu prolifique et inspirée par l’atmosphère que ce dernier avait connue en tant que professeur de latin et de grec dans une école jésuite de Manhattan. Le film de Sidney Lumet n’a pas rencontré un grand succès lors de sa sortie, probablement du fait de sa complexité et des nombreuses interprétations contradictoires qu’il peut susciter. Par la faute du titre choisi sans aucune bonne raison dans notre pays et sous prétexte qu’on entend dans "Les yeux de Satan" un prêtre, le père Penny, parler d’une présence satanique au sein de l’établissement Saint-Charles, certains y voient un film fantastique s’inscrivant, comme "L’exorciste" (1973), dans la mouvance des films mettant le diable au premier plan, à la suite du "Rosemary’s Baby" de Polanski (1968). Même si Sidney Lumet fait de louables efforts au niveau du son et de la musique pour entraîner le spectateur dans cette voie, cette interprétation tient difficilement la route, d’autant plus que le père Penny, personnage alcoolique dans la pièce, est présenté dans le film comme un personnage difficile à prendre au sérieux. Non, Les yeux de Satan est totalement exempt de phénomènes surnaturels, et, par les violences qu’il montre, faites par des groupes de jeunes gens sur des individus isolés, ce film s’avère au contraire très réaliste et, malheureusement, tout à fait en phase avec l’actualité du moment, la seule différence étant qu’aujourd’hui, le harcèlement, qui n’a rien de surnaturel, dont sont victimes certain jeunes et qui peut aller jusqu’à d’extrêmes violences, se construit le plus souvent en interne, sur les réseaux sociaux. En fait, dans ce film, Sidney Lumet reprend un thème qui lui est cher : la stigmatisation de la manipulation des masses et de la dictature de groupe. Tellement cher, qu’il arrive à faire croire que le réalisateur, en montrant de façon négative des élèves qui s’élèvent contre l’autorité, fustige la partie très importante en nombre de la jeunesse américaine qui, au même moment, au début des années 70, proteste contre la guerre au Vietnam. Etonnant de la part d’un réalisateur qui a toujours été considéré comme étant un homme de gauche attaché aux idéaux démocratiques ? Peut-être pas ! Peut-être était-il d’une grande lucidité au point de pressentir le glissement progressif de nombreux hippies pacifistes vers la « yuppisation » des années 80.