Plusieurs films s’emboîtent ici les uns dans les autres et ne sont, pour certains d’entre eux, pas forcément des plus subtils : le thriller hitchcockien sur fond de paranoïa féminine ne parvient à faire planer sur l’intrigue qu’une ébauche du mystère érotique qu’il aimerait disséminer, la faute à une surcharge d’indices tantôt prévisibles tantôt trop visibles. La romance interdite entre deux femmes dont l’une pourrait être la mère de l’autre – avec cet arrière-plan incestueux par l’intermédiaire de Chloe et de sa fameuse broche – intrigue mais manque de finesse. Il y a quelque chose, dans l’écriture d’Atom Egoyan, qui s’apparente trop à un exercice de rhétorique au terme duquel causes et conséquences auront été examinées et établies. Ce qui fonctionne, en revanche, c’est le portrait d’une femme à la fois mère de famille et impétueuse amante qui ne se reconnaît plus dans le miroir qui la voit chaque jour. Chloe, muse jugée parfaite, est en quelque sorte le reflet idéal mais inatteignable d’une jeunesse fanée, d’une distance avec cet homme qu’elle aime mais qu’elle n’ose plus séduire. Curieusement, donc, la suspicion d’adultère devient pour le personnage de Catherine l’occasion de concrétiser un fantasme : elle vit les comptes rendus effectués par la call-girl à la manière d’un roman érotique, explore son propre désir par les mots et les gestes d’une autre. C’est dire que le mari, subtilement incarné par Liam Neeson, constitue davantage une image tirée de l’inconscient de son épouse et sans cesse redéfini au gré des histoires à caractère sexuel ; son absence à répétition, ses retards et sa distance n’ont pour effet d’augmenter la puissance imagogène de ce désir, jusqu’au point de non-retour. Dès lors, la suspicion devient un adultère à part entière : « tu as l’air d’une fille qui a une liaison », lui confie l’une de ses amies. Le caractère à la fois épanouissant et destructeur de cette relation change Chloe en figure démoniaque, proche de la mante religieuse prête à tout pour assouvir sa passion. Sa disparition en guise de clausule, qui ne semble déranger personne et ne déboucher sur aucune enquête judiciaire, fait planer sur elle le revers de la médaille : le mari a recouvré son statut d’être humain, Chloe l’a perdu et est devenue une image. Pour orchestrer ce triangle du désir, Egoyan livre une mise en scène soignée où la froideur de l’architecture rencontre la suavité des corps et du décor de la chambre à coucher, pleine de coussins et de draps froissés. Il révèle également un goût pour la mise à nu des structures familiales qui, derrière leurs masques sociaux, nourrissent les pires hypocrisies. Porté par la très belle composition musicale de Michael Danna, le long-métrage souffre de défauts flagrants mais qui ont l’avantage d’enfouir plus profondément encore la puissance mélodramatique d’une femme confrontée à elle-même, à son âge mûr, à ses désirs toujours jeunes. Julianne Moore trouve là un rôle magnifique, tout en beauté et en fragilité.