Avant de parler de "2LDK", il faut rappeler la genèse assez particulière du projet : en 2003, après qu’ils aient rendus leur court-métrage pour "Jam Films" en un temps record, le producteur Shinya Kawai propose aux deux réalisateurs Ryuhei Kitamura ("Versusv, "Azumi", "LoveDeath") et Yokihiko Tsutsumi ("Collage of Our Life", "Forbidden Siren", "Memories of Tomorrow", "Beck") un défi assez relevé, à savoir de réaliser chacun un long métrage selon cinq règles très précises : 01) tourner en une semaine 02) dans un décor unique 03) avec trois acteurs maximum 04) avec un budget minimaliste 05) en clôturant par la mort de l’un des protagonistes. C’est ainsi que naquit le « Duel Project » pour lequel Kitamura livrera "Aragami" et Tsutsumi "2LDK". Alors, de quoi parle "2LDK" ?...Et bien c’est l’histoire de deux jeunes femmes, Lana et Nozomi, qui partagent le même appartement. Toutes les deux appartiennent à une agence de talents et tentent de percer dans le métier d’actrice jusqu’au jour où elles passent une audition pour le même rôle dans un film de yakuza. Leur rivalité va alors prendre une tournure plus qu’inattendue…Au vu du synopsis, des règles imposées par le « Duel Project » et de la courte durée du métrage, on pourrait croire que "2LDK" ne soit qu’une petite péloche sans saveur et bâclée…mais c’est sans compter sur l’intelligence de Tsutsumi : ce dernier nous propose déjà une exposition des protagonistes dans laquelle il nous les présente lors d’un diner dans l’appartement et nous permet de vite les cerner. En effet, les deux demoiselles sont diamétralement opposées : Lana est une joyeuse fêtarde, elle aime le cinéma, séduire, se mettre en valeur, entretien un véritable fétichisme des marques et est totalement convaincue d’être irrésistible et indispensable. Elle sort avec un homme marié et a une haute vision d’elle-même : bref, la vraie petite pétasse hautaine par excellence. Nozomi est l’exact opposé : venant de la campagne, elle adore le théâtre, elle n’est pas vraiment sûre d’elle, s’habille en décontracté avec de la sous-marque et est secrètement amoureuse de Takuya, le directeur de leur agence. Cette opposition est renforcée par les véritables pensées des filles dévoilées en voix off qui donnent déjà au récit un petit côté décalé et jouissif mais qui permettent surtout de montrer la tension entre les deux personnages puisque ces dernières se détestent déjà cordialement. Et pourquoi donc ? Tout simplement parce qu’elles représentent ce que l’autre ne souhaite jamais devenir, bref on peut presque affirmer qu’elles se détestent elles-mêmes. Et le fait d’habiter (enfin de cohabiter plus exactement) dans un appartement assez confiné, on peut carrément déduire que ces deux filles sont totalement paumées dans leur vie. Et à force de se rabaisser à jouer à ce petit jeu de non dits et de sous-entendus, que tout point de discussion devienne source de conflit (
le téléphone, le rangement du frigo, le volume de la musique, l’utilisation de tel ou tel objet, la façon de manger…
), l’inévitable va se produire et le conflit verbal va laisser place à un hallucinant duel physique. A partir de ce moment, le film bascule dans une réelle folie visuelle et outrancière façon manga où tout objet de chaque pièce de l’appartement peut devenir une arme en puissance afin de vaincre « l’autre » : le métrage devient alors un énorme défouloir où tout y passe pour notre plus grand plaisir ! A ce titre, le choix de l’appartement luxueux à plusieurs pièces (d’ailleurs le titre du film fait référence la classification des logements au Japon : 2LDK signifiant « 2 chambres, salon, salle à manger et cuisine ») est assez judicieux car il permet (en plus de respecter la règle imposée du lieu unique) aisément d’articuler un ensemble de scènes faisant évoluer l’intrigue en fonction des possibilités offertes par les différentes pièces. De plus, le réalisateur ne s’est pas laisser entraver par le manque de temps et le peu de budget : il exploite au maximum les possibilités que lui offre son décor tout en se permettant quelques folies visuelles en termes de mise en scène et cela permet de donner un rythme assez soutenu au film (je vous avez bien dit que la construction rappelait celle d’un manga). Mais il faut aussi avouer que la réussite du métrage est aussi due aux deux électrons libres que sont Maho Nonami ("Scarecrow", "Negative Happy Chain Saw Edge", "Liar Game: Reborn") et Eiko Koike ("Kamikaze Girls", "20th Century Boys Chapitre 2", "Liar Game: Reborn", "Shokuzai") qui interprètent respectivement Lana et Nozomi : totalement déjantées, les deux actrices s’en donnent à cœur joie en sur-jouant un max, donnant ainsi vie à des personnages laissant exprimer leurs frustrations dans une folie incontrôlée. Malgré des contraintes de base qui auraient pu lui nuire grandement en termes de qualité, Yokihiko Tsutsumi parvient avec talent à transformer le banal en un ahurissant chaos orchestré, tout en pointant du doigt les travers de l’âme humaine (comme grosse farce existentielle, on ne fait pas mieux en matière de ridicule : la situation repose sur un énorme quiproquo et se termine sur une ironie à la limite du grotesque !). Complètement délirant et cynique, "2LDK" nous entraîne dans un catfight de luxe entre deux délicieuses garces totalement irrésistible, à la fois brutal, critique sociologique et non dénué d’humour. Une belle performance et une bonne surprise pour nous vu qu’on ne s'ennuie pas une seule seconde !