La jeunesse, depuis Les Désarrois de l’Élève Törless, n’a pas cessé d’être un thème de Schlöndorff. La guerre en est un autre inévitable quand on est allemand & qu’on traverse les générations : voilà sans doute pourquoi son personnage principal ne veut pas grandir.
Oskar, en effet & à l’instar de son acteur David Bennent (1m16 à 13 ans), a préféré rester dans le corps & l’esprit d’un enfant que de contempler la décroissance de son pays tiraillé de l’intérieur entre l’identité polonaise & allemande, déchiré en plus de part & d’autre sur les fronts.
Dans des décors qui ont le même pittoresque vibrant d’un passé ressuscité que ceux de Le Dictateur de Chaplin, les figurants n’en sont pas. Car même les foules de Schlöndorff vivent entières sous sa direction d’acteurs (apparemment sans limites à la fois de qualité & de portée) qui fait monter le casting sur la corde raide – & même instable – d’une interprétation exceptionnelle, juste & datée en même temps (même pour l’époque, je veux dire).
Sur son giron artistique, Bennent, acteur d’Oskar, semble avoir saisi mieux que quiconque ce que le réalisateur s’efforçait de faire, & par bien des points, c’est même lui qui nous l’explique, en parfait faux adulte… faux enfant… bon, je ne sais pas ce qu’il est mais il est magnifiquement factice, précoce, capricieux, immature, philosophe, voix off aussi & l’écho d’une ambiance qui obéit aux ruptures (presque des saignements) de chaque nouvelle scène, si bien que, entouré qu’il est par des professionnels géniaux en matière de lyrisme détaché de tout, on finit par oublier qu’Oskar / Bennent est un enfant.
Pourtant, faire du Schlöndorff signifie toujours aller trop loin : écœurer, déranger, placer le dégoût là où on ne l’attend pas (une scène de guerre ? non : une scène de pêche ; un crime ? non, une scène d’amour), se faire interdire un peu partout pendant longtemps pour des scènes pédopornographiques (qui ne le sont pas, mais il fallait bien mettre un mot dessus), ça fait partie de sa griffe & c’est ce qui ouvre chaque nouvelle scène sur une direction “extérieure”, qui n’appartient ni à l’image ni à la narration.
Par exemple, on passe parfois d’une scène à l’autre comme à travers un tableau, par des raccourcis dans le temps comme si Oskar en était maître (franchement, c’est possible aussi : un gamin avec un tel regard est forcément capable d’invoquer des démons) & des angles frustrants qui cachent toujours “ce qu’il y a derrière”, invitant à voir ce qu’il y a plus loin que l’image. Bien sûr, Maurice Jarre ne se retient pas non plus de glisser ses anachronismes sonores, ajoutant à ces années qui passent par paquets de trois ou quatre comme un patchwork de rêves à moitié achevés d’enfance & de guerre.
Finalement, ce n’est pas tant ce que Le Tambour montre qui choque, mais ce qu’il invite à croire, car on ne peut qu’y voir pire & se dire : “meh, ce film m’a dérangé” sans pour autant que certaines scènes clés (qui viennent immédiatement à l’esprit) suffisent à totalement justifier ce sentiment. On en réchappe, souvent, par cet extérieur que Schlöndorff semble appeler dans ses images comme un gourou sur un sommet himalayan.
Le surnaturel de cet enfant pour qui les années passent comme des jours & la guerre comme un souvenir, les souffrances qu’on sent venir de loin mais qui ne s’attardent jamais, toutes ces petites fins brusques – des graines de mort – qui rendent difficile de croire au début de quoi que ce soit, finissent par rendre le visionnage absorbant & ses conséquences inquiétantes. Le film ne se regarde pas : il se souffre, & si l’on en sort pas, c’est qu’Oskar continuera de grandir dans notre esprit de spectateur perturbé, & de le faire grandir avec lui.
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