Alors attention ! Film réaliser par Steve McQueen, pas par Steve McQueen ! Je vous vois venir, vous devez dire « il a fumé ou quoi ? ». Et vous auriez raison si je ne vous donnais pas les précisions nécessaires pour éviter ce genre de confusion. Ici, il n’est pas question de l’acteur Steve McQueen, celui à l’affiche des films Les Sept Mercenaires, La Grande Évasion, L’Affaire Thomas Crown, Bullit, Le Mans et encore Le Papillon. Mais plutôt de Steve McQueen, artisite contemporain britannique qui se lance ici à la réalisation avec Hunger.
Et pour son premier long-métrage, le bonhomme ne commence pas par une histoire de romance classique ou une comédie comme il en existe tant. Non, il s’attaque carrément à un fait historique, méconnu du grand public. Plaçant son récit en 1981, dans une prison de Maze (Irlande du Nord). Dans laquelle des prisonniers, membres de la PIRA (Armée républicaine irlandaise provisoire), mènent une grève de l’hygiène (arrêt de se laver, recouvrir les murs avec ses excréments…). Dont le but est d’obtenir, auprès du gouvernement britannique (avec une certaine Margaret Thatcher), un statut politique à leur détention. Une grève douloureuse et sans horizon favorable, qui débouchera sur une grève de la faim (d’où le titre).
C’est donc le combat de détenu qui nous est ici raconté. Mais pas de la manière à laquelle l’on pouvait forcément s’y attendre. Pas du point de vue d’un personnage en particulier. Pas par le biais d’un script calibré et à la structure classique. Plutôt de manière dite aléatoire : on commence par un gardien qui se lève, se prépare et se rend au boulot. Avec une caméra qui suit le moindre de ses mouvements quotidiens. Puis nous faisons la connaissance d’un nouvel arrivant dans la prison, qui va prendre part à cette fameuse grève de l’hygiène. Et nous enchaînons, lors d’une intervention nerveuse de « coiffage express » sur Bobby Sands, leader de cette grève, que l’on va suivre jusqu’à la fin du film. Sans toutefois revenir de temps en temps, et sans réelle raison, sur les deux protagonistes précédents. Un scénario chaotique sans réel fil rouge ? Pas tout à fait.
Car, si le script du film vous paraît vide de par un côté quasi muet, il reste pourtant travaillé à la perfection. Et ce grâce à une mise en scène tout bonnement exceptionnelle ! Steve McQueen, qui remportera pour ce film la Caméra d’or lors du festival de Cannes de 2008, prouve pour son premier film qu’il est un metteur en scène de talent. Arrivant à raconter quelque chose via l’image. Offrant des plans remplis de sens, ayant chacun quelque chose à narrer. Se montrant par moment poétique (le gardien fumant sa cigarette dehors, sous une neige cotonneuse, dans un silence de mort), d’autres cruels (les séquences dites de torture) et peu ragoûtants (les gros plans des murs dégueulassés, le corps changeant de Bobby Sands lors de sa grève de la faim). Tout cela se dispensant de raconter une histoire romantique ou d’amitié qui aurait plombé son sujet. Qui est de montrer l’horreur vécu par ses détenus qui se battaient juste pour avoir quelques droits. Les sacrifices auxquels ils ont dû faire face.
Un réel travail de mise en scène à tel point que le film n’enregistre que très, très peu de dialogues, jugés du coup inutiles pour raconter cette histoire. Sauf lors d’une scène en plan-séquence qui peut se vanter d’afficher un record : 17 minutes en caméra fixe pour un dialogue entre Bobby Sands et un curé, sans interruption (juste une coupure pour changer de plan). Cela aurait pu être fort ennuyeux, mais même là, le film accroche. Grâce à une écriture véritablement fine et des acteurs prodigieux qui n’ont aucun mal à nous bercer avec leurs paroles. D’ailleurs, niveau interprétation, on ne peut que rester bouche bée devant la majorité des comédiens précédents, qui semblent vivre à 100% ce que subissent leur personnage (jusqu’à apparaître nu à l’écran). Sans compter qu’Hunger est le film qui révéla le talent de Michael Fassbender, qui, comme l’aurait fait un certain Christian Bale, s’est permis ici de perdre 14 kilos pour paraître anorexique à l’image.
Un problème cependant que nous devons à cette mise en scène : un sentiment d’ennui qui peut survenir à tout moment, même dès le début. Et ce notamment quand l’on n’est pas préparé à ce genre de film. En effet, le spectateur habitué aux blockbusters hollywoodiens, les comédies à l’eau de rose et aux mélos adeptes des clichés aura bien du mal à s’accrocher à ce style. Même moi, j’ai bien eu du mal à ne pas me détacher de l’ensemble (surtout lors de ce long plan où un gardien nettoie le couloir des cellules). Ou chercher pour rien le lien qui unit les trois protagonistes principaux, alors qu’il n’y en a pas, tout simplement.
Mais le constat reste le même : Hunger est un véritable exemple de savoir-faire et de travail artistique. Un bijou de mise en scène qui mérite d’être vu. Steve McQueen, réalisateur de profession, se révèle être un cinéaste de très grand talent, montrant qu’il sait raconter des histoires par l’image (ce qu’est censé être le métier de metteur en scène) et s’entourer d’acteurs fabuleux (Fassbender en tête). Et dire qu’il ne s’agit que d’un premier long-métrage ! McQueen, on ne demande qu’à ce que vous continuez dans cette voie !