Lorsqu’un plasticien comme Steve McQueen importe sa pratique dans le domaine du cinéma, il en résulte «Hunger» (Grande-Bretagne, 2008). Assimilable à un biopic sur Bobby Sands, résistant irlandais de l’IRA, le premier long-métrage de McQueen tend vers une visée bien plus ambitieuse. Cette ambition n’est pas esthétique, dans l’acceptation kantienne où elle n’entend pas créer du Beau. Cette ambition se trouve être fondamentalement politique. La politique au cinéma n’est pas une affaire de situations ou de sujets. Lorsque Ken Loach réalise «It’s a free world…», il ne fait pas du cinéma un langage politique mais uniquement un vecteur. Ironie du sort, il asservit le médium cinématographique à la volonté de sa pensée, comme un patron assujettit ses employés à son profit. McQueen, de son expérience de plasticien, sait que la matière de l’œuvre d’art est un objet à part entière dans la constitution d’une œuvre. Reste à s’assurer qu’«Hunger» soit bien une œuvre de cinéma, en en employant ses fonctions les plus essentielles, et non pas la transmission d’une vision plastique par un récit. La matérialité des humeurs (les excréments, la sueur, le sang, la chair, l’urine) au sein de l’espace et du temps du film transpose avec délicatesse et intelligence les instances de l’art plastique au cinéma. La maigreur des corps, l’extrémité des comportements et des révoltes, la force du tempo et du son au carrefour de l’effusion quasi-concrète des images véhiculent une idée politique. C’est parce qu’il emploie les moyens propres au cinéma, en y innervant son expérience de plasticien, que Steve McQueen réussit à toucher au 7ème art. L’art est l’un des derniers recoins de résistance et, comme l’écrit Dostoïevski, «L’art sauvera le monde». En faisant, avec une telle puissance mais aussi une si grande sûreté, du cinéma un art de force, McQueen ouvre son œuvre aux dimensions de l’infini. Il rejoint l’œuvre de Kubrick qui, dans les comportements humains discernait les horizons de l’éternel.