Difficile d'aborder l'Aurore sans s'embourber dans un commentaire trop technique. Mais plus encore, c'est avant tout la palette des émotions qu'il faut glorifier. La vie est parfois amère, parfois douce sait-on en introduction : c'est exactement le ton du film, qui n'est jamais stable sur l'émotion, mais fait de haut et de bas, toujours dans l'optique d'une beauté. Ainsi on pourrait résumer chronologiquement nos sentiments; je ne l'ai pas fais, mais pour faire bref, on passe de la tristesse à l'angoisse, du regret à la réconciliation, de la joie à la passion, de l'enfance à l'adulte, du rêve au cauchemar... Avant de finir sur une note finale que je ne dévoilerai pas. Pourtant rien ici n'est exagéré, tout sentiment arrive avec beaucoup de naturel et de cohérence, il n'y a pas non plus de rupture net mais une progression de ceux-ci, appuyés par une mise en scène intelligente, sans ellipse pour comprendre la continuité du récit et des relations entre personnages.
L'aurore c'est une romance assez simple mais vraiment belle, perturbée par un adultère, où la symbolique est fortement représentée : selon les codes de l'époque (évidemment) le fermier est un homme perdu ou très confiant, oscillant entre un style négligé et très propre; la femme du fermier est une femme docile, douce, rayonnante et vêtue de blanc, splendide blonde très rassurante et simple dans le meilleur sens du terme; la femme de la ville, vêtue de noir, tentatrice, brune et très habillée, sous son maquillage et sa toile qui laissent comprendre un caractère fort et mystérieux, peu rassurant, sexuel et superficiel. Pourtant, Murnau ne s'attarde pas réellement sur ce fait, mais s'en sert comme formidable tremplin créatif pour la suite du film, cette situation provoquant de nombreuses réactions au sein du couple de fermiers.
Pour continuer sur cette voie, et avant de conclure la critique sur la forme, je parle volontiers du jeu des acteurs, et spécifiquement du duo amoureux de George O'Brien et de Janet Gaynor. Ce premier est assez incroyable car il est clairement la pierre angulaire du récit, il dirige la barque des sentiments, et ce sont par ses tiraillements que l'histoire s'écrie. Son regard est expressif, mais c'est plus encore son corps, ses mains ou sa posture, qui trahissent ses sentiments. Janet Gaynor est splendide et touchante. Elle me fait un peu penser à Giuletta Masina, mais en moins candide, plus femme mais avec la même simplicité qui nous donne au premier instant l'envie de l'aimer. C'est au contraire surtout son regard, qui ne semble jamais évoquer le jeu d'actrice mais une sincérité forte, qui fonde tout son personnage.
En dernier point donc comme promis, la technique du film. Je ne sais absolument pas quelle version j'ai regardée, je ne sais pas non plus s'il existe une version restaurée. Car l'image était pour moi assez dégradée, blanchie ou noircie, ce qui était parfois gênant pour apprécier tout le travail photographique, le jeu sur le noir et le blanc ainsi que sur les lumières. Quand bien même, force est de dire tout d'abord que cette image reste magnifique, que le jour ou la nuit joue un rôle important, que la nature ou la ville sont parfaitement exposées dans des plans larges, que la lumière illumine toujours les yeux expressifs des acteurs. Le montage est intelligent comme je l'ai dis au dessus, et surtout Murnau nous régale avec des travellings de toute beauté, ou en saisissant le calme de la campagne et la folie de la ville avec plans séquences assez géniaux. Enfin, on pourra féliciter l'utilisation rare mais notable d'effets spéciaux, qui ajoute le réel plus aux expressions des personnages dans les moments les plus forts.
Un immanquable, magnifique film, une très belle romance ; et vous n'avez, en plus de ça, aucune raison d'être réfractaire tant ceci se regarde bien.
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