J'ai beaucoup aimé Nosferatu, et mon opinion ne fait que se bonifier avec le temps. J'attendais de voir L'Aurore avec impatience, mais la peur d'être déçu revenait inlassablement. J'ai fini par me lancer après voir entendu plusieurs personnes en parler du bien. Maintenant je peux le dire haut et fort : j'ai vu L'Aurore, et Murnau est un génie ! Pour une raison ou pour une autre, je pensais que le synopsis couvrait l'ensemble du film. Il s'agit en réalité du point de départ de l'histoire, qui s'étend bien au-delà de l'intrigue donnée. On reviendra sur cette suite dans une minute, j'aimerais d'abord parler de la mise en place de la situation initiale, et surtout de sa dimension fantastique. Le réalisateur met en scène la rencontre clandestine entre un homme marié et une femme de la ville dans un marais, de nuit. Le héros doit emprunter un chemin tortueux puis écarter des branchages pour retrouver la croqueuse d'homme, qui est baignée, l'air innocent, par la lumière de la pleine lune. La femme, lorsqu'elle aperçoit son amant, prend le temps de se remaquiller avant de se jeter dans ses bras. Puis, au fil de la conversation, elle demande insidieusement à l'homme de tuer sa femme. Horrifié, il tente de s'échapper mais il retombe sous son charme aussitôt qu'elle l'embrasse, ce qui accorde à la femme de la ville le statut de succube. Et cela se répercute sur l'homme, qui se transforme à son tour en monstre lorsqu'il décide de tuer sa femme et avance vers la caméra qui cadre ses mains mais pas son visage. Une analogie forte et bien amenée. Murnau utilise plusieurs figures de style, notamment les surpressions et le cache/contre-cache, pour traduire tour à tour la frénésie, le rêve et l'obsession. Cela crée plusieurs images tout à fait ravissantes, qui évoluent vers quelque chose de plus sobre par la suite, laissant les sentiments s'exprimer avec beaucoup de simplicité.
Le réalisateur a su parfaitement retranscrire l'état des personnages sans en faire trop. Par exemple, la déception est lisible dans le regard de Janet Gaynor, et voir cette larme couler sur sa joue me serre vraiment le cœur (surtout que c'est une très belle femme). Il en va de même lors de la scène du mariage, où l'homme se rend compte qu'il est devenu l'opposé de ce qu'il avait juré d'être. Qui ne fondrait pas en larmes en apprenant cela ? Par ailleurs, l’œuvre prend vraiment le temps de rétablir la confiance entre les deux paysans, l'évolution de leur relation est progressive et très subtile, ce qui me fait dire que L'Aurore est avant tout un magnifique film sur le pardon.
Murnau a fait de ce drame une histoire universelle en présentant des personnages anonymes et des sentiments profondément humains. Comme le précise le premier intertitre, la vie peut faire preuve d'une ironie amère, mais elle peut aussi être d'une profonde douceur, et l'Aurore a su parfaitement retranscrire cette ambiguïté.